« La France vit au-dessus de ses moyens », déclarait Raymond Barre en 1976. Selon Jack Dion, directeur adjoint de la rédaction de « Marianne », le gros avantage de cette formule est de mettre tout le monde dans le même panier. Or, seuls les salariés sont visés par la diatribe qui cherche à les culpabiliser, en oubliant la responsabilité des décideurs, de ceux qui tiennent les rênes de l’économie et qui n’ont de comptes à rendre à personne.
Quelle est la formule magique des économistes de la Cour ? Quelle est la vérité d’évangile déclamée, du soir au matin, pour mieux l’imprimer dans le cerveau du salarié anonyme ? La voici : « La France vit au-dessus de ses moyens. » On ne compte plus le nombre de soirées télévisées organisées sur le sujet avec souvent les mêmes invités.
Du président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, ex-socialiste converti aux charmes du néolibéralisme, au gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, en passant par toute la galaxie des animateurs de plateaux médiatiques, il n’en est pas un qui n’ait repris cette fable. La plupart de ceux qui la racontent vivent d’ailleurs plutôt bien, tant mieux pour eux. Ils n’ont pourtant rien inventé.
Même plan d'égalité
L’auteur du précepte destiné à nourrir le bêtisier de la pensée correcte s’appelle Raymond Barre, alors Premier ministre du président Valéry Giscard d’Estaing, qui l’avait présenté comme « le meilleur économiste de France ». Il l’édicta en 1976.
La formule choc du professeur Barre, qui a franchi le siècle, a le gros avantage de mettre tout le monde dans le même panier : le chômeur et le spéculateur ; le petit retraité et le rentier plein aux as ; le smicard et l’oligarque ; l’agent d’entretien et l’amateur d’optimisation fiscale ; le cariste et le boursicoteur branché sur Wall Street ; le paysan ruiné et le céréalier qui fait son blé ; le commerçant du coin et l’actionnaire de Carrefour ; l’artisan et le PDG d’une multinationale ; l’infirmière et le manager de labo pharmaceutique ; le patron de PME qui tire la langue et le roi du CAC 40 qui tire les ficelles pour délocaliser son entreprise. Or les uns font la richesse de la France alors que les autres la défont.
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Les uns vivent (plus ou moins bien) de leur travail alors que les autres en profitent pour mener des aventures animées par la cupidité, l’argent facile, le profit à court terme. Malheureusement, seuls les salariés sont visés par la diatribe qui cherche à les culpabiliser, en oubliant la responsabilité des décideurs, de ceux qui tiennent les rênes de l’économie et qui n’ont de comptes à rendre à personne.
Seuls les plus démunis sont appelés à faire des sacrifices, à travailler plus sans gagner plus, et à courber l’échine alors que la France s’appauvrit faute d’utiliser toute la gamme de ses ressources, en raison d’une course à la mondialisation synonyme de désindustrialisation rampante, de fermetures d’usines à la chaîne et de drames humains aux quatre coins du pays.
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Pourquoi ne parle-t-on jamais de ceux qui vivent vraiment au-dessus des moyens de la France ? Le journal les Échos annonce fièrement que « les groupes du CAC 40 n’ont jamais été aussi généreux ». La preuve : en 2024, ils ont versé près de 100 milliards d’euros à leurs actionnaires, cette caste qui s’enrichit en dormant. Au passage, on lit dans le journal de Bernard Arnault, première fortune nationale, que « les dividendes n’enrichissent pas plus les actionnaires qu’un retrait au distributeur n’enrichit un salarié qui vient de toucher son salaire ».
Bref, le salarié est un rentier comme un autre.