Duplicité, mensonge et trahison : les extraits exclusifs de la biographie-événement sur Macron, "Le Président toxique" d’Etienne Campion
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Dans « Le Président toxique. Enquête sur le véritable Emmanuel Macron », notre journaliste Étienne Campion dresse un portrait inédit du président de la République. En interrogeant plus d’une centaine de ses proches, des collaborateurs zélés aux renégats les plus amers, il éclaire la personnalité du chef de l’État et son influence sur la crise politique profonde que traverse le pays. « Marianne » en publie les bonnes feuilles.
« Manette », la grand-mère adorée du président
Dès son adolescence, le jeune Emmanuel Macron commet sa première transgression : il néglige ses parents et sa fratrie, au profit de Manette, sa grand-mère qu’il idolâtre.
Une relation si fusionnelle, du moins, que l’adolescent veut s’installer chez sa grand-mère, qui l’encourage en ce sens. Et que cette transgression originelle le voit déjà semer le malheur et le désarroi chez les êtres les plus proches qu’un enfant ait : ses parents et frères et sœurs. Il se montre, en effet, étrangement peu affecté par les interrogations que suscite son attitude.
En premier lieu chez sa mère, Françoise, qui entretient des liens compliqués avec Manette, et se sent dépossédée de son fils. Ressent cette meurtrissure qu’une mère éprouve devant l’indifférence d’un fils. Comme aux premiers moments de popularité d’Emmanuel dans la presse, quand surgit le narratif de ce trio entre lui, sa grand-mère et Brigitte. Douleur ignorée aussi chez son père, Jean-Michel, qui s’élève contre l’emprise de Manette et s’agace que son fils ne rentre que le soir comme un adolescent fugueur. Peine mésestimée, enfin, chez Laurent et Estelle, qui n’ont rien de ces premiers complices qu’on trouve normalement chez un frère et une sœur. Littéralement exclus de la relation, confiés à leurs autres grands-parents, paternels.
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Et Brigitte dans tout cela ? Quand Emmanuel annonce la nouvelle à Manette, la grand-mère est d’abord choquée. Déjà avait-elle été jalouse de l’existence de sa première petite copine, Anne-Laure, en troisième, quand elle avait renvoyé Emmanuel chez ses parents pour deux mois. Au sujet de cette professeure de français qu’il a séduite, Manette finit par se rendre à l’évidence : elle peut offrir à Emmanuel un soutien crucial dans le conflit qui l’oppose à ses parents. « Rien n’aurait été possible si elle n’avait pas donné son assentiment », dira plus tard Brigitte, qui obtient avec Manette une alliée et comprend très vite qu’il lui faut s’attirer les bonnes grâces de cette grand-mère, en lui accordant des après-midi entiers à discuter littérature, alors que son jeune amant est monté à Paris poursuivre ses études, et qu’elle a encore un mari et une famille. Manette protège les deux amoureux, les encourage, les invite chez elle en secret, dans le dos des parents d’Emmanuel.
On connaît la maxime de Talleyrand : « Ne suivez jamais votre premier mouvement, il est toujours généreux. » Il y a dans la relation d’Emmanuel à sa grand-mère quelque chose qui tient tout à la fois du premier mouvement et du modèle. Elle lui a appris la solitude, la transgression, l’idée que sur la route de son destin extraordinaire – la première à y avoir cru – tous les moyens sont bons. Même les dommages collatéraux, comme le ressentiment des autres. Manette lui a légué, aussi, une forme d’indépendance affective. Le pouvoir de ne dépendre affectivement que d’une personne. Ici, Brigitte a pris le relais de Manette. Dire qu’Emmanuel est un cyborg sadique qui n’éprouve que des sentiments factices est inexact. Il ressent justement de brûlantes et sincères émotions qui font sa force. Mais ponctuelles et réservées. Et afin de s’exonérer d’aimer le reste du monde.
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Enfin, aussi sincère puisse être cette histoire avec Manette, elle a permis à Emmanuel d’écrire le mythe de son auto-enfantement et d’une destinée qui ne doit rien à personne. Car s’il doit tout à Manette, comme il l’a écrit et dit, c’est, que de fait, il ne doit pas grand-chose aux autres, et notamment aux vieux caciques qui ont participé à son ascension mais qu’il a pu jeter rudement ensuite, Jean-Pierre Jouyet ou Jacques Attali, par exemple. Un membre de la commission Attali qui a vu ces deux hommes disgraciés m’explique aussitôt notre heure de discussion entamée : « Je ne sais pas comment cela s’appelle en psychologie, mais Emmanuel Macron ne veut plus entendre parler des gens qui l’ont connu et aidé durant son ascension, comme s’il voulait montrer qu’il s’est enfanté lui-même : tout ce qui est de l’ordre de la reconnaissance lui apparaît insoutenable. »
Une bombe en Commission Attali
Membre du petit groupe chargé par Nicolas Sarkozy (entre 2007 et 2008) de réfléchir à des pistes pour relancer la croissance française, le jeune Emmanuel Macron émet une proposition pour le moins étonnante.
« J’ai une idée pour économiser 5 milliards ! », pavoise, un soir de réunion de fin de semaine, un Emmanuel arrivé en retard. « Dis-nous donc, Emmanuel », lui répond Jacques Attali. « Et si nous supprimions la force océanique stratégique ? » Le président de la commission est pantois, comme dans ces dîners où un invité au discours déjà limite vient de franchir la ligne rouge. La force de dissuasion de nos sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, grâce à son caractère furtif, plus encore que nos forces aériennes stratégiques, constitue ce que le pays compte de plus précieux pour sa sécurité.
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« Tu te rends compte de ce que tu dis, Emmanuel ? Je te rappelle que, sans la force océanique stratégique, nous n’aurions pas notre droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies », tente de lui expliquer un Jacques Attali qui commence à cerner l’envers du personnage. Car voilà que le têtu Emmanuel insiste : « Ça coûte cher, en entretien, en construction, en hommes ! » Un témoin de la scène n’en revient toujours pas : « Ça m’a marqué à vie tant cela en disait long sur son rapport au sens de l’État. Quand il est devenu président, je n’ai cessé de voir son rapport à la défense et à la diplomatie sous ce prisme de la légèreté et de l’ajustement comptable. »
La déception des fidèles
Nombreux sont ses anciens conseillers qui digèrent mal leur mise à l’écart, parfois inexpliquée, souvent brutale. L’orgueilleux président semble avoir théorisé la nécessité de faire le vide autour de lui.
L’incompréhension, en Macronie, ce sont les « Mormons » (Stéphane Séjourné, Benjamin Griveaux, Sibeth Ndiaye, Sylvain Fort, Jean-Marie Girier…), ce groupe de militants et conseillers qui a amené Emmanuel Macron au pouvoir, qui en ont le plus souffert. L’un d’eux, longtemps proche du président, a vu rapidement la magie retomber : « La campagne était une extraordinaire expérience humaine, pleine de promesses, consistant à partir de rien et à agréger des soutiens. Puis un tri à l’envers s’est opéré et les plus intelligents sont partis le plus tôt, pour laisser place au one-man-show d’un homme entouré de gens toujours plus opportunistes et plus médiocres. Quand l’Élysée est arrivé, c’est comme si toute la légèreté était partie. Le souci du collectif, tout ce qui pouvait avoir forgé des liens, est devenu incongru, et le président n’a pas cherché à sauver ces ingrédients. Normalement, le président est un peu un chef de bande, comme l’étaient Chirac ou Mitterrand, avec un esprit de corps, tant la politique repose largement sur les affects. Lui n’a pas géré de bande et a été étranger aux affects. C’est devenu le président d’un côté, le reste du monde de l’autre. »
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À la différence de ses prédécesseurs, Emmanuel Macron s’est très tôt mis à répéter en privé une théorie que ses proches conseillers ont trouvée étrange, inspirée de François Mitterrand : « Je n’ai pas de cabinets ; les conseillers, ça n’existe pas ! » Certains – sortis du sérail – s’étranglent encore rien que de penser à cette orgueilleuse théorie et estiment qu’elle a coûté au président son passage au pouvoir, mis le macronisme originel sur l’autoroute d’un despotisme doux, à base de selfies et de chantage aux extrêmes, vers la dissolution de l’Assemblée nationale. « Les ministres n’existent pas, les conseillers n’existent pas. Voilà beaucoup de gens qui n’existent pas. Dans la pratique, les conseillers existent, bien sûr, s’expriment et portent des idées. Ce qu’il n’aime pas, d’où cette volonté de s’entourer de "nobody" », rumine l’un des personnages de cette histoire.
Collomb, le grognard perdu
Le maire de Lyon fut l’un des premiers soutiens d’Emmanuel Macron. La rupture entre les deux hommes, puis le décès de Collomb, donnent lieu à une scène douloureuse lors des obsèques.
Peu nombreux sont ceux, dans l’assistance, à remarquer que, sur le visage de Caroline Collomb, veuve de l’illustre Lyonnais, la tristesse s’est mêlée à l’amertume. Encore plus rares sont ceux qui savent que cette oraison funèbre ne devait pas avoir lieu. En effet, Emmanuel Macron s’en est arrogé le droit, contre la volonté de Caroline Collomb, qui s’opposait à ce que le président rende un hommage qu’elle jugeait d’avance hypocrite. Lorsque nous avons tenté de la contacter, celle-ci s’est montrée catégorique : « L’histoire de la relation entre mon mari et le président est une tragédie, il est encore trop tôt pour que j’en parle. » Elle ajoute : « Mon mari en est tombé malade », illustration de l’abîme qui sépare les deux parties : d’un côté, l’amertume d’une veuve qui estime que le chef de l’État a précipité la mort de son mari ; de l’autre, un Macron visiblement peu enclin à partager cette opinion.
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Où se situe la vérité ? La relation entre Gérard Collomb et le président est l’une des plus opaques, et sans doute l’une des plus importantes pour comprendre l’énigme de la conduite du pouvoir selon Emmanuel Macron. Malheureusement, le livre dans lequel l’ancien maire de Lyon comptait tout révéler ne verra jamais le jour. Et la mémoire collective retient surtout de son passage au gouvernement cette phrase prononcée sur le perron de Beauvau, souvent citée par des figures de droite : « Aujourd’hui, on vit côte à côte… Je crains que demain on vive face à face. »
Reste enfin le mystère de ce départ précipité : comment peut-on atteindre, après quarante ans de carrière politique, un destin national, verser des larmes de joie lors de l’investiture présidentielle à l’Élysée, pour tout abandonner moins d’un an et demi plus tard ?
Yassine Belattar, l'inquiétant « Monsieur banlieue » de Macron
Autour du président, on s’étonne et on s’alarme de la proximité du chef de l’État avec le sulfureux humoriste, au discours communautariste affirmé.
Le chef de l’État a flashé sur cet humoriste qu’il perçoit comme son « capteur » de la France des banlieues, en dépit des avertissements de son entourage. C’est que ses vannes douteuses sur les attentats djihadistes font de lui ce que les médias appellent un « humoriste controversé » : sa proximité avec l’islam politique des Frères musulmans et du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) est connue – « Je ne suis pas Charlie » ; « Il n’y a pas de modération dans la religion : on est musulman ou on ne l’est pas », dixit Belattar.
Ce dernier se sent tout-puissant de l’amitié de ce président dont il se pique de recevoir des SMS. Et qu’il égrène dans la presse. Notamment quand le journal Marianne l’accuse en décembre 2017 d’entretenir le « déni de l’islamisme ». « Visiblement, c’est une nouvelle guerre que lance ce journal, je suis au fond du trou. » Réponse de Macron : « T’obsède pas. Continue. Les critiques suivent le talent. »
En février de la même année, celui qui appelle le président « mon frère » est arrêté pour insultes envers des policiers lors d’un déplacement de Macron aux Mureaux. Arrivé en retard et empêché d’accéder au cortège présidentiel, Belattar n’a pas supporté d’être bloqué. Quand le chef de l’État s’informe de l’incident, il demande : « Qu’est-ce qu’il a fait ? » et reçoit pour réponse : « Il a insulté une policière. » Le « frère » de Belattar ne réagit pas, à part par un léger hochement de tête, signifiant qu’il ne juge pas nécessaire d’intervenir.
Le président et sa cour
De plus en plus isolé, Emmanuel Macron n’est plus entouré que de conseillers honnis par les déçus du macronisme, qui les qualifient de « cloportes ».
Ni Bruno Roger-Petit ni aucun des alchimistes et autres « cloportes » de la dissolution n’a disparu de la scène. Au contraire, leur assise s’est consolidée, comme si la tempête, loin de les ébranler, leur avait servi de tremplin. Clément Léonarduzzi a même été décoré par le président le 6 décembre 2024. Et Bruno Roger-Petit continue de prêcher, dans les salons parisiens, qu’il s’agissait d’une « idée géniale » qui finira par faire remonter Macron dans les sondages.
Lorsque je l’ai interrogé début novembre 2024, toujours en poste à l’Élysée, il m’a déclaré – avec ce style fantasmagorique et mégalomane où il se pose en anti-élite, défenseur fidèle du peuple autour d’un président qu’il estime l’être tout autant – ceci : « Beaucoup de ceux qui ont critiqué cette dissolution et ont déclaré, comme Alain Minc, qu’il aurait fallu “oublier le résultat des européennes” et n’en tenir aucun compte, tous ceux-là appartiennent à cette forme de bourgeoisie française qui s’est toujours méfiée des élans du peuple, de son point de vue dangereux et déraisonnable par ontologie. Cette élite française se défie du suffrage universel depuis 1789 et se caractérise par sa permanence. Marc Bloch et de Gaulle, entre autres, ont déjà dit ou écrit ce qu’il fallait penser de cette forme particulière de classe dominante, notamment quant à son rôle dans les années 1930 et 1940. » Le voilà décidément empreint de cette pensée aux accents paranoïaques qui semble graviter dans le même monde parallèle qu’Emmanuel Macron.
Le Pen et Bardella, des adversaires qui le fascinent
Le président semble ne pas se départir d’une certaine curiosité pour le duo du RN, avec qui il entretient des échanges d’une cordialité appuyée.
Derrière le rideau du théâtre médiatique, Emmanuel Macron et Marine Le Pen entretiennent une curiosité réciproque, ponctuée de petites politesses. Ainsi, il n’est pas rare que Marine Le Pen, Jordan Bardella et leur entourage s’étonnent des confidences informelles, ces « off », où le président exprime des propos élogieux à l’égard de la leader du RN. Comme, justement, après ce 26 août 2024, quand l’Express rapporte la chose en ces termes : « Du point de vue du chef de l’État, il s’agit de “leur meilleur rendez-vous”, selon un stratège macroniste qui n’en revient toujours pas de la liste des qualités égrenées par l’hôte élyséen. La patronne du RN a été jugée “sérieuse et calme”. »
Jordan Bardella n’en doute pas : derrière ces échanges feutrés se cache un désir de transgression. « Il ne prend vraiment plaisir qu’à parler avec nous, affirme-t-il. Nous incarnons quelque chose d’hybride, un mélange d’élan populaire et de résilience. Il aime tester cela, répéter que les discussions les plus stimulantes, ce sont celles qu’il a avec nous. » Le président du RN y voit un défi, mais aussi une étrange dépendance. « Ce n’est pas qu’Emmanuel Macron et Marine Le Pen s’entendent bien. C'est qu’ils savent, au fond, que leurs destins sont indissociables. Leurs clivages s’opposent tout en se nourrissant l’un de l’autre. La mécanique dépasserait presque leurs volontés individuelles. »
Source : https://www.marianne.net/politique/macron/duplicite-mensonge-et-trahison-les-extraits-de-la-biographie-evenement-sur-macron-le-president-toxique-detienne-campion