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"La laïcité française n’est pas soluble dans le multiculturalisme"

En défendant, au micro de Sonia Mabrouk sur Europe 1, que seuls l’État et ses agents devaient être neutres concernant le port de vêtements religieux dans les emplacements publics, Édouard Philippe et Élisabeth Borne ne sont pas montrés fidèles à la loi de 2004. Analyse de Anne-Hélène Le Cornec Ubertini, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, autrice de « Le poison du Communautarisme. La gauche sans le peuple » (L’Harmattan).

Les députés hostiles à la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905 voulaient que la liberté de croire soit la liberté de faire, que la liberté de conscience soit la liberté de pratique religieuse dans les emplacements publics. Savez-vous qu’ils ont perdu et que la loi de 1905 a été votée ?

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Cela paraît évident, mais pas pour tout le monde. Interrogés par la journaliste Sonia Mabrouk sur Europe 1, Édouard Philippe et Élisabeth Borne ont fait gagner les perdants : seuls l’État et ses agents devraient être neutres, la loi de 2004 sur l’interdiction du port de signes religieux ostensibles dans les écoles, collèges et lycées aurait un caractère d’exception en raison du jeune âge des élèves quand la liberté du port de vêtements religieux dans les emplacements publics serait la règle. Le voile islamique poserait problème s’il était imposé, mais il ne le serait pas nécessairement, bien des jeunes filles et des femmes le porteraient librement et ce ne serait pas forcément un signe d’entrisme islamiste ou de soumission de la femme.

La loi de 2004, confirmation écrite de l’esprit de la loi de 1905

Alors non, les Églises n’ont pas demandé le divorce pour faute de l’État et ne l’ont pas contraint à la neutralité pour avoir plus de liberté cultuelle en 1905. Non, la loi de 2004 n’est pas une exception, elle est la confirmation écrite de l’esprit de la loi de 1905. Confirmation rendue nécessaire par la position du Conseil d’État, peu enclin à appliquer la loi de 1905 dans sa lettre et son esprit. Non, le port du voile islamique porté librement n’émet pas un message différent de celui qui est imposé. Le message est adressé à autrui, particulièrement aux hommes dont les pulsions sexuelles seraient incontrôlables et plus généralement à tous ceux qui peuvent le voir, sans considération de leur liberté de conscience, pourtant garantie par la loi de 1905.

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Le libre port du voile n’enlève rien au message de soumission de la femme qu’il émet. Chaque femme est libre de préférer être soumise. Curieusement, dire que certaines femmes portent le voile librement suffirait à écarter toute idée de soumission. Pourtant l’un n’empêche pas l’autre. En revanche, la promotion de la soumission de la femme concerne la société qui doit, si elle défend à la fois la laïcité, l’égalité de droits entre les hommes et les femmes et la protection des mineurs, refuser a minima l’affichage public de la soumission de la femme. Comment faire le tri entre les différents arguments quand ceux qui s’expriment sont censés avoir une expertise sur le sujet ?

Premier point. Est-il besoin de dire que c’est l’État qui a divorcé des Églises pour faute en 1905 ? À force de désinformation, la réponse est peut-être oui. Alors voici un extrait de la présentation de la loi de 1905 par Aristide Briand, son rapporteur, qui ne laisse aucun doute : « MM. Yves Guyot et Sigismond Lacroix font un exposé de la situation du clergé, que nous ne pouvons mieux faire que de citer : […] "Et quand le prêtre a pris sa place partout, dans toute la so­ciété, quand il tient l’éducation d’une main, l’assistance de l’autre, il descend dans la congrégation. Les articles 291 et 292 du Code pénal lui sont inconnus. La congrégation se forme, se développe, enfonce ses racines dans le sol, en fait émerger de vastes casernes, d’immenses bâtiments, sé­questre, enferme des multitudes, fouille de ses tentacules toutes les couches sociales pour en aspirer la vie et la ri­chesse." La solution de MM. Yves Guyot et Sigismond Lacroix était celle que nous préconisons aujourd’hui : répondre aux prin­cipes de persécution du clergé, par des principes de liberté ; rejeter les prêtres dans leurs églises, pour que soit affranchie la société laïque. » (Briand, 4 mars 1905, p. 107-108).

Neutralité de l'État et de ses représentants

À propos de l’actuel article 35-1 de la loi de 1905 (le numéro d’article a changé dans le temps) Aristide Briand expliquait ainsi son esprit : « Si l’État demeure neutre à l’égard des Églises, celles-ci doivent observer une neutralité absolue à l’égard de l’État » (4 mars 1905, p. 289).

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La loi oblige l’État et ses représentants à être neutres et en fait autant pour les cultes et leurs représentants (quels qu’ils soient, puisque les cultes sont désormais libres de leur organisation interne). Les Églises restent néanmoins en liberté surveillée par l’État et le Titre V « Police des cultes » de la loi de 1905 y pourvoit.

Deuxième point. Le peu d’appétence du Conseil d’État pour la loi de 1905 est sans équivoque dans les propos de Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État de 2006 à 2018 : « Chaque fois qu’il [le Conseil d’État] a été saisi de ces questions ou lorsque les autorités publiques ont proposé d’en retenir une vision restrictive, il a tranché en faveur d’une lecture ouverte du principe de laïcité » (Sauvé, 2017). Dans le journal La Croix, Jean-Marc Sauvé a justifié cette entorse à la loi de 1905 : « "On a essayé à chaque fois de prendre en compte tous les courants de pensée et de motiver les choix que nous faisions sans se réfugier derrière la lettre de la loi ", assure-t-il. "Nous avons ainsi le sentiment d’avoir contribué à créer de la cohésion sociale et du consensus" » (Rouden, 2018).

Le rôle du Conseil d’État n’est évidemment pas de prendre en compte tous les courants de pensée. Le citoyen est en droit d’attendre qu’il suive la lettre de la loi. Plus offensif, le conseiller d’État Thierry Tuot considérait qu’appliquer l’esprit de la loi de 1905 était la preuve d’un manque d’intelligence : « Le devoir d’intelligence impose ensuite ce que nous cessions de faire des contresens historiques, en recyclant les valeurs des années 1900 pour traiter les problèmes des années 2000. La laïcité, n’est pas, comme d’ailleurs tous les grands principes constitutionnels, un état figé du droit, mais un principe de morale publique qui structure une action publique. Elle n’est pas une condamnation de la religion, ou une interdiction, elle est avant tout l’affirmation la plus nette de la liberté » (Thierry Tuot dans son rapport officiel La grande nation pour une société inclusive, 2013, p. 63). La lettre et l’esprit de la loi ayant été largement abandonnés dans les avis et la jurisprudence du Conseil d’État, la loi de 2004 devenait nécessaire pour que la laïcité s’applique au moins à l’école.

Le voile, signe de soumission

Troisième point. Le voile est un signe de soumission, librement consentie ou pas, au moins au dogme qui ne fait pas mystère de l’infériorité de la femme. Le voile affiche publiquement l’inégalité homme-femme. Pourtant, si nous nous reportons à la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 « pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes », les institutions publiques, même si elles sont opposées à la loi de 1905, devrait lutter contre les stéréotypes sexistes qui portent atteinte à la dignité des femmes et font violence à toute personne de bonne volonté :

« Article 1. L'État et les collectivités territoriales, ainsi que leurs établissements publics, mettent en œuvre une politique pour l'égalité entre les femmes et les hommes […]. La politique pour l'égalité entre les femmes et les hommes comporte notamment : 1° Des actions de prévention et de protection permettant de lutter contre les violences faites aux femmes et les atteintes à leur dignité ; […] 3° Des actions destinées à prévenir et à lutter contre les stéréotypes sexistes »

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La liberté de porter ce que l’on veut ou de ne rien porter n’est pas un droit absolu. Les vêtements ne sont pas réductibles à des bouts de tissus. Ils parlent sans mot dire et s’imposent à la conscience d’autrui. Qui l’ignore ? Le prêt-à-penser sur la laïcité ouverte aux religions n’a pas l’assentiment des citoyens qu’il s’agit de convaincre. La loi de 1905 fait partie de l’art de vivre à la française. Elle permet l’indivisibilité du peuple. Et l’on voudrait l’échanger contre le multiculturalisme conflictuel anglo-saxon ?


Source : https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/anne-helene-le-cornec-ubertini-la-laicite-francaise-nest-pas-soluble-dans-le-multiculturalisme