Je parle souvent d’Israël ici, et certains n’y voient qu’une forme d’obsession, voire un réflexe de défense inconditionnelle. Je vais donc être clair. Je ne suis pas sioniste — pas au sens galvaudé, caricatural, presque hystérique que ce mot a pris aujourd’hui dans les bouches militantes. Le sionisme historique, celui de Herzl et des rescapés des pogroms, celui qui visait à offrir un refuge aux Juifs persécutés depuis deux mille ans, a atteint son but : Israël existe. Et ce but n’était pas une opinion, mais une nécessité vitale. Une réponse politique à une persécution que personne d’autre ne voulait voir.
Mais aujourd’hui, ce mot est devenu un chiffon rouge. Un épouvantail. Un prétexte pour délégitimer non pas une politique, mais une existence. Il ne s’agit plus de contester les choix d’un gouvernement, ce qui est sain et salutaire, mais de remettre en cause le droit même de cet État à exister. Il ne s’agit plus de critiquer des décisions, mais de construire une fiction paranoïaque et victimaire où Israël incarnerait le Mal pur, et ses ennemis, même les plus obscurantistes, seraient systématiquement disculpés.
Je parle d’Israël parce que je connais le terrain, je connais les gens, les colères, les blessures, les contradictions. J’y suis allé. Souvent. J’y ai vu des familles brisées des deux côtés. J’ai parlé avec des Israéliens qui dénoncent leur propre gouvernement, j’ai parlé avec des Palestiniens épuisés de survivre entre la répression, la misère, et l’instrumentalisation religieuse. J’ai organisé des dialogues entre ennemis. J’ai lu les textes sacrés, les manifestes politiques, les témoignages des extrémistes comme des pacifistes. J’ai fait ce que la plupart des militants sur internet ne feront jamais : regarder la complexité en face, sans fuir dans les slogans.
Et ce que je vois aujourd’hui, c’est une nouvelle forme de haine. Une haine élégante, maquillée en indignation morale. Une haine qui se croit du bon côté de l’Histoire parce qu’elle a des likes, des hashtags, et des indignations sur commande. On déteste Israël non pas malgré sa réussite, mais à cause d’elle. Parce que ce pays dérange, parce qu’il réussit, parce qu’il pense, parce qu’il débat, parce qu’il expose les échecs de ses voisins sans avoir besoin de les nommer.
Ce prétendu "antisionisme" est devenu le masque acceptable d’un antisémitisme recyclé. Une obsession maladive, sélective, qui ne s’intéresse qu’aux crimes juifs supposés, et ferme les yeux sur les dictatures arabes, les massacres internes, les enfants syriens gazés par leur propre État, les femmes lapidées à Kaboul, les journalistes assassinés au Caire, les opposants torturés à Téhéran.
Mais non, ce qui mobilise les foules, c’est Israël. L’unique démocratie du Moyen-Orient. Le pays où un Arabe peut être juge à la Cour suprême ou médecin en chef dans un hôpital. L’unique pays où l’on manifeste contre son propre gouvernement sans risquer la prison ou la mort.
Ce que j’entends chez certains, ce n’est pas la révolte contre l’injustice — c’est la jouissance de trouver enfin un coupable commode. Et de se donner à bon compte une posture morale. La propagande moderne, ne vous y trompez pas, ne ment pas frontalement. Elle sélectionne les faits qui servent le récit. Elle vous montre Gaza sous les bombes, mais jamais les roquettes tirées depuis des écoles. Elle vous montre la détresse palestinienne — réelle, insupportable — mais jamais la corruption de leurs dirigeants, les millions détournés, les enfants endoctrinés.
Et que dire de ceux qui idéalisent le Hamas ou le Hezbollah au nom de la « résistance » ? Depuis quand la liberté passe-t-elle par la soumission des femmes, la haine des Juifs, la loi de la terreur ? Depuis quand peut-on, au nom des opprimés, défendre ceux qui veulent imposer un totalitarisme religieux ?
Je ne défends pas Israël pour me rassurer. Je le défends parce que j’en connais les limites, les défauts, mais aussi la vitalité, le courage, les contradictions vivantes. Parce que j’ai vu la réalité – pas celle des écrans, mais celle du terrain. Et parce qu’on ne peut pas construire la paix sur une haine ritualisée et une ignorance satisfaite.
La souffrance palestinienne est réelle. Elle me touche. Je l’ai vue. Mais je l’ai vue aussi ailleurs : dans des pays arabes où l’on meurt dans l’indifférence générale, écrasé par ses propres dirigeants, ou par des clans adverses, sans qu’aucun militant occidental ne s’en émeuve. Il y a dans cette indignation sélective une obscénité, un aveuglement volontaire, une paresse intellectuelle.
La vérité, c’est que beaucoup ne veulent pas voir le réel. Ils veulent des figures, des symboles, des coupables. Israël leur fournit tout cela. Et peu importe la vérité. Peu importe la complexité. Peu importe la douleur des deux peuples.
Moi, je continuerai de parler. De dire ce que je vois. Même si cela dérange. Surtout si cela dérange.
Charles Rojzman