Elle s’appelle Mylène, Nathalie ou Isabelle. Et non pas Mégane, Héloïse ou Talia. Elle porte encore beau, mais allez-y piano : tout lui est douleur.
Évitez les questions qui fâchent. « Il te reste combien de trimestres ? », « Tu dois travailler jusqu’à quand avant le taux plein ? ». Évacuez tout ce qui a trait à des décisions immobilières horribles (« Tu crois que tu pourras rester rue des Platanes ? »). Ce n’est pas seulement l’effondrement économique qui menace, mais le ralentissement de sa vie sociale. Le toboggan vers l’Ehpad (espérance de vie moyenne : trois ans et quatre mois).
Quant au physique, de grâce, même si bien servie (mince avec chevelure opulente), abstenez-vous de tout commentaire : « Il t’a bien réussi la couleur, cette fois », « La couperose ? La dermato t’enlève ça d’un coup de laser », etc. Si vous avez moins de 35 ans, épargnez-lui les références high-tech déstabilisantes (7G, Bluetooth, Starlink). Ne lui parlez pas de votre mère (« Tu l’adorerais », « Elle aussi kiffe Élisabeth Quin »). N’utilisez pas de vocabulaire moderniste obscur (gaslighting, call out, bails, « je m’en balec », « elle m’a tunnellisé »). N’évoquez aucun chanteur/acteur/milliardaire/influenceur né après 2000 (ne sait pas qui c’est). Parlez moins vite. Plus fort.
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Ne commentez ni n’observez grossièrement l’écran de son iPhone quand elle l’éclaire (lettres énormes, notifications humiliantes : « Catherine, préparer sa retraite est essentiel » et pubs odieuses : devis monte-escalier, convention obsèques…). Ne gloussez pas si par mégarde vous tombez sur son passeport (on dirait sa fille ou une photo filtrée), sa carte Vitale, son billet de TGV ou sa fiche de paie (date de naissance : la gaffe !).
Tenez-lui la porte, aidez-la à enfiler son manteau vintage Alaïa ou son peignoir de ville Mugler (gestes mal coordonnés, dos raide). Mais ne vous précipitez pas pour lui céder la place dans le bus, surtout s’il y a une ancêtre plus légitime dans les parages.
Un peu de discrétion si, par inadvertance, vous tombez sur son sac ouvert, véritable pharmacie de vieille Sioux : Jouvence de l’Abbé Soury (circulation sanguine), crème anticerne (initialement prévue pour réduire les hémorroïdes), cachets multivitaminés (B12, E, A, D… de quoi réveiller les hormones d’une momie), lunettes correction loupe avec chaînette pour ne pas les perdre, prospectus pour cliniques esthétiques en Grèce orné de sirènes nues, voire lubrifi ant intime (chez les aventurières ou utopistes).
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Maniez le compliment avec une infinie précaution. Quand on a connu les hommages les plus enflammés (« Vous êtes mon idéal féminin »), la litote (« Encore très bien », « Gracieuse », « D’une élégance rare ») vous crucifie. Ne dites rien. Néanmoins, si vous appartenez à une catégorie sociale interlope (dragueur de rue, jeune à cagoule, chauffeur de taxi en goguette, BCBG ivre), peu soupçonnable de tartufferie mondaine, vous pouvez oser un clin d’œil égrillard. Il sera accueilli très favorablement en son for intérieur.
Attention aux références cinéphiliques. Modérez votre vénération pour les actrices antédiluviennes ou trépassées (Charlotte Rampling, Dominique Sanda, Virna Lisi, Delphine Seyrig). Elle pourrait y percevoir une perfidie caramélisée. Tapez dans la « sexa sexy » : vous trouvez Juliette Binoche « super excitante », Monica Bellucci « incroyable », Michelle Pfeiffer « carrément sublime ». À manier avec précaution : Isabelle Huppert (teigne de 1,12 m), Emmanuelle Béart (trop refaite), Tilda Swinton (trop strange).
Ne demandez jamais « C’était quelle année ? » (qu’elle a passé le bac, acheté son appart, s’est cassé les deux pieds à Biarritz). Déni total sur le temporel (amnésie chic). Sujet épineux : la famille. Si elle vous apprend que son petit frère a eu un AVC, n’investiguez pas : « Mais il a quel âge ? » (52 ans). Si vous êtes épris, ne faites pas le fier, ne vous rajeunissez pas. Au contraire, détaillez sans chichi vos bobos (prostate, cataracte, arthrose du genou, diabète type 2). Minaudez : « Mais vous, vous êtes toute jeune, vous n’avez pas encore ces problèmes. »
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N’imaginez pas qu’elle se brade ou qu’elle soit devenue plus indulgente avec les années. Sa méfi ance est intense, ses regrets sont éternels et sa rancune (contre son ex, l’âge, sa future pension riquiqui) est tenace. Bref, c’est une peau de vache. Elle ne laisse rien passer. Quand on lui fait des mamours, elle pense qu’on veut lui emprunter de l’argent. Sentimentalement, c’est Alcatraz. Sexuellement, la banquise : les vieux la dégoûtent (poils dans le nez, oreilles qui poussent…), les jeunes lui font horreur (tabou de l’inceste).
N’appuyez pas sur ses lacunes. Elle souffre en montant l’escalier, a des bouffées de chaleur, des trous de mémoire, mal à la hanche, ne retrouve pas les noms propres et s’agace de les avoir « sur le bout de la langue ». Enchaînez avec une cordiale solidarité : « Ça m’arrive tout le temps aussi. »
Épousez ses centres d’intérêt. Elle a moins de curiosité pour la politique, la mode, les magazines féminins (sauf pages santé, yoga et cuisine), l’érotisme, les sorties en boîte, les guéguerres entre collègues… Tout cela l’ennuie. En revanche, elle se passionne pour la métaphysique, le bouddhisme et les ouvrages tournés vers l’avenir (« Dieu existe », « Les mystères de l’Univers », « L’au-delà pour les nuls »)