1914-2021 - A QUOI SOMMES-NOUS EN TRAIN DE CONSENTIR ?
Nous sommes embarqués dans un récit qui nous permet d'assumer collectivement les contradictions internes de notre système socio-économique sans pour autant qu'il apparaisse jamais nécessaire d'en identifier les fondements, ni à plus forte raison d'en délibérer démocratiquement les modalités de renversement. Car ce récit est de nature technique et moral. Or la morale relève des églises et la technique appartient aux experts : rien ne serait donc politique dans ce qui nous arrive.
J'insiste sur le "nous" du récit car ce n'est pas tout de comprendre comment et par qui ce dernier est forgé : la question réside plutôt dans la forme d'adhésion plus ou moins bougonne qu'il continue d'entraîner chez la grande majorité d'entre nous. Mon hypothèse est la suivante : chacun sent bien que c'est l'ordre social qui est en jeu, un peu plus incapable qu'il est chaque jour de contenir la multiplication de tensions et de craquements qu'il génère. Or, in fine, que nous soyons de droite ou de gauche, des extrêmes ou du centre, oppresseurs ou opprimés, l'ordre EN TANT QU'ORDRE est ce à quoi nous sommes le plus attachés et dont nous exprimons, chacun à notre manière en fonction de la position que nous y occupons, la passion de conservation qu'il suscite.
A cette aune, on peut analyser notre présent comme un "remake" en charentaises de tout le répertoire scénaristique expérimenté en 1914 : mobilisation, "union sacrée", croyance dans un retour des hommes pour les moissons qui préfigure l'obsession actuelle pour le très désiré mais sans cesse reporté "retour à la normale"... le tout porté et défendu par un arc politique allant de l'Eglise catholique et de l'Action française aux radicaux-socialistes et - bon grès mal grès après l'assassinat de Jaurès - à la CGT.
De même qu'en 1914 il ne s'agissait pas du traitement d'une crise militaire mais d'un traitement militaire de la crise, nous n'assistons pas aujourd'hui au traitement d' une crise sanitaire mais à un traitement sanitaire de la crise. Dans les deux cas, le système socio-économique parvient mystérieusement à faire fond de ses propres turpitudes - désorganisation du système international en 14 du XXème siècle, destruction du tissu social sous les coups de buttoir du néo-libéralisme en 21 du XXIème - pour réussir le miracle de persévérer dans son être.
Pour filer jusqu'à son terme la métaphore historique, il est à craindre qu'après des débuts cotonneux, qui rappellent la "drôle de guerre" et marquent l'idiosyncrasie d'une époque, cela tourne, du fait des déséquilibres en présence, en Verdun mondial, avec trémolos nationalistes et monuments aux morts à la clé.
Benoît GIRARD
[Illustration : des gendarmes équipés d'armes lourdes verbalisent de promeneurs sur la plage de la Grande Motte, près de Montpellier, le dimanche de Pâques 2021. Source Le Midi Libre]
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