La gauche du XXème siècle et le débat entre Réforme et Révolution.
Il y avait un débat entre des gens qui avaient à peu près en tête un même modèle « socialiste » d’émancipation politique, économique, culturelle de la classe ouvrière et des catégories populaires.
Les uns disant qu’on pouvait y parvenir par des réformes graduelles en participant aux institutions telles qu’elles étaient, et les autres disant qu’il fallait pour y parvenir faire une révolution, et que la participation aux institutions ne suffisait pas, et pouvait être même, parfois, contre-productive. Certains courants de la gauche expliquaient alors que l’union entre les uns et les autres pour constituer une majorité politique, correspondant à la majorité sociologique du pays, permettrait une avancée pour aller dans le sens de cette perspective « socialiste » qui leur était commune.
Nous sommes maintenant fort loin du XXe siècle, et il n’y a plus aucun consensus entre les héritiers de ces forces en termes d’appareil, même si elles portent des noms qui sont restés les mêmes.
Pierre Moscovici, qui représente bien ce qu’est devenu la pensée dominante chez les responsables du Parti socialiste, pour prendre son exemple, n’a aucune intention d’aller vers la moindre émancipation des travailleurs, il est même un combattant de première ligne contre l’idée même qu’à travers des élections dans le cadre de la Nation une majorité puisse décider du destin commun, puisqu’il veut le pouvoir à la Commission européenne non élue. il l’a expliqué à plusieurs peuples européens : ce sont les traités qui décident de la politique et non les élections nationales.
Donc il souhaite que les multinationales, à travers les divers processus de la globalisation financière décident, et que le fait d’être « de gauche » se manifeste par le fait qu’il souhaite que ce soit fait avec une certaine dimension sociale, dont François Hollande, Emmanuel Macron et Manuel Valls ont montré, à travers la réforme du Droit du travail opérée par la loi El Khomri, quelle elle était. Cela n’a pas grand-chose à voir avec l’utopie « socialiste » qui structurait la gauche du XXe siècle.
Les écologistes, récemment promus comme une force de la « gauche », considèrent que ce qui compte c’est la mise en place de dispositifs punitifs pour que les travailleurs français consomment moins d’énergie, ce qui ferait du bien à l’avenir de la planète. Ils souhaitent aussi pour bon nombre d’entre eux comme l’a expliqué l’ancien ministre Yves Cochet, qu’ils arrêtent de faire des enfants, pour faire place à tous les immigrés qui veulent s’installer ici et qui y ont un plein droit, pour que nous expiions notre péché colonial. C’est un point de vue, mais s’il n’est pas contradictoire à celui exposé précédemment, il n’a pas grand-chose à voir avec l’utopie « socialiste » qui structurait la gauche du XXe siècle.
La France insoumise qui reprend le flambeau de la gauche de la gauche, que tenait jadis le courant communiste, considère que la façon dont aujourd’hui s’exprime la lutte des classes, c’est la défense de l’islam, « religion les opprimés » et que la lutte contre « l’islamophobie », aux côtés des Frères musulmans par exemple, serait la traduction de la lutte des classes. Ça n’est pas totalement contradictoire au précédent, mais cela n’a pas grand-chose à voir avec l’utopie « socialiste » qui structurait la gauche du XXe siècle.
L’héritier du courant trotskyste, lui, va plus loin, en considérant qu’il faut prendre toute la dimension stratégique du fait que l’islamisme, dont nous voyons l’action armée, comparable à une forme de guérilla, à travers les attentats qui sont faits en Occident, est l’expression moderne de l’anti-impérialisme, qui avait guidé le mouvement socialiste au XXe siècle.
Au XXe siècle, pour prendre l’exemple de la fin des années 1970, la gauche était électoralement majoritaire au premier tour entre 50 et 52,5 % des voix, et c’est à la suite du désaccord entre ses deux grandes composantes, qu’au second tour les reports s’opérant mal, c’était la droite qui gagnait l’élection.
On comprend tout l’intérêt de la bataille pour l’unité entre ces composantes, qui discutaient de savoir quelle était la bonne façon pour arriver à un but qu’elles définissaient de manière plus ou moins sincère, comme quelque chose d’assez proche, puisque cela produisait une majorité politique qui aurait permis que ce soit au pouvoir que se déroule ce débat au sein de « la gauche », représentant la majorité sociologique et politique du pays. Mais aujourd’hui, si l’on regarde les projections, lorsqu’on interroge les gens pour savoir si il se sentent de droite, de gauche ou d’une autre opinion, on se rend compte que c’est entre 13 % et 26 % que se situe la part de la population qui se sent à gauche, celle-ci comprise comme les opinions qui vont de l’extrême gauche dure, jusqu’à la droite du Parti socialiste ...
On voit donc que l’idée de l’unité de la gauche, d’une part, ne correspond pas à l’idée d’un projet commun, d’autre part l’idée de l’unité de la gauche ne correspond pas plus à l’idée de rassembler une majorité sociologique, puisqu’aucun des courants de la gauche ne se réclame plus aujourd’hui d’un groupe sociologique (comme la Classe ouvrière par exemple), mais d’un groupe qu’il définit à partir d’autres critères, et enfin cette idée l’unité de la gauche ne correspond plus, non plus, à l’idée de faire une majorité électorale, puisque tous rassemblés, ils ne représentent qu’une part très limitée.
Peut-être vaudrait-il mieux essayer de savoir ce qu’est au XXIe siècle l’émancipation humaine, quelle est la traduction de ces valeurs humanistes en termes politiques. Probablement ça n’est pas l’introduction de la ségrégation raciale à l’intérieur des dispositifs institutionnels d’expression des forces sociales et politiques, pour ne prendre que ce petit exemple, qui focalise les choses en ce moment.
Peut-être faudrait-il comprendre aussi que le problème majeur est celui de savoir pourquoi l’on discute : Si de toute façon nous avons perdu en tant que Nation la souveraineté sur notre avenir et notre destin, si nos élections ne sont qu’un moment d’expression du vouloir vivre souffrant des populations, mais que ce sont les traités signés il y a maintenant un certain temps, qui définissent seuls et définitivement les politiques qui seront menées, à quoi sert tout ce débat.
Alors que la révolution de la numérisation va transformer totalement l’idée de travail, et le mode de production d’ensemble de notre société, c’est la question de qui sera le souverain, le peuple, ou quelques multinationales, ou encore un groupe de gens qui se trouvent détenir – à moins d’une cinquantaine – la majorité de la richesse sur la Terre, c’est cette question qui est majeure. Or sur cette question de la souveraineté, il se trouve qu’à l’intérieur des héritiers de ces partis de gauche, il y a diverses positions, dont l’une consiste à remettre le pouvoir aux multinationales et l’autre à des organismes multilatéraux indépendants, représentant de fait les plus riches.
Ces appels à l’unité de la gauche ont le défaut de passer à côté des problèmes de fond, qui sont les seuls qui peuvent structurer un débat public qui ait du sens. Ils ont en plus le défaut de mettre en valeur le fait que la représentante électorale aujourd’hui, des catégories sur lesquelles la gauche s’appuyait sociologiquement, et sur lesquelles elle a fondé son histoire, pour les représenter politiquement, c’est-à-dire les ouvriers et les employés, c’est tout simplement l’extrême droite qui l’est. Et ce n’est pas par les discours des diverses composantes évoquées ici que la « gauche » pourrait en regagner la moindre partie.
Il y a un vrai combat dans les élections à venir, c’est celui de la République, c’est-à-dire celui que le peuple retrouve la souveraineté sur son destin. Ce combat, lui peut créer une majorité, parce qu’il peut soulever un espoir, c’est celui-là qu’il faut mener.
Et ce n’est pas la référence à la droite ou à la gauche du XXe siècle parmi ceux qui vont mener ensemble ce combat, qui est la question décisive.
Gilles CASANOVA
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