"Le modèle des paradis fiscaux deviendrait caduc"
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Marianne : Le Trésor américain a mis au menu de la rencontre du G20, une proposition visant à établir à l’échelle mondiale un taux d’imposition minimum sur les sociétés. Il a d’ores et déjà le soutien de la France, de l’Allemagne et du FMI. Le Covid-19 a-t-il tué la concurrence fiscale à l'œuvre depuis 40 ans ?
Gabriel Zucman : Bien plus que le Covid, c’est l’administration Biden qui pourrait bien tuer la concurrence fiscale internationale en appliquant une mesure de bon sens, celle que nous décrivions avec mon coauteur Emmanuel Saez dans Le Triomphe de l’injustice (Seuil, 2020) : la collecte du déficit fiscal des multinationales.
L’Europe a lancé le mouvement de concurrence fiscale internationale il y a 35 ans.
Une société américaine s'acquitte-t-elle d'un taux effectif de 5 % sur ses profits en Irlande ? Les États-Unis collecteraient les 16 % manquant pour arriver à 21 %. Si les autres pays se mettaient à policer leurs multinationales de la même façon, il n’y aurait plus aucun intérêt pour les entreprises à enregistrer leurs bénéfices dans les paradis fiscaux qui, logiquement, se mettraient donc à augmenter leurs propres taux. Une course au mieux-disant fiscal s’enclencherait.
Est-ce la fin des paradis fiscaux, et des stratégies d’optimisation agressives des multinationales, et notamment les GAFA ? Est-ce une possible nouvelle ressource pour les États afin de rembourser la dette Covid ?
L’enjeu n’est pas principalement budgétaire. Les taux d’intérêt sont faibles. La dette publique n’est pas un problème à l’heure actuelle. Il est plus profond que cela : il s’agit de réconcilier la mondialisation et la justice fiscale. Avec un accord international sur un impôt minimum élevé pour les profits des multinationales, le modèle développé par les paradis fiscaux deviendrait caduc. Une nouvelle forme de mondialisation débuterait.
Après un plan de relance géant Joe Biden prend à nouveau l’Europe de court avec cette proposition fiscale, qui passe par une forte coordination. Cette stratégie vise-t-elle également à placer les États-Unis à la tête de « ses alliés européens », tant économiquement que sur la scène internationale ?
L’Europe a lancé le mouvement de concurrence fiscale internationale il y a 35 ans et s’est montrée incapable de le juguler. C’est un échec intellectuel et politique qu’il faut reconnaître et dont il faut tirer toutes les leçons. À commencer par mettre un terme à la règle de l’unanimité en matière fiscale, qui ne fonctionne pas : il y a urgence à en sortir, ce qui passe par une démocratisation des institutions européennes. Il n’y a aucune raison que le changement doive venir des États-Unis.
Professeur à l'université de Berkeley, l'économiste français Gabriel Zucman a été onseiller de l'aile gauche du Parti démocrate durant les primaires.
© AFP
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Source : https://www.marianne.net/economie/impot-minimum-sur-les-societes-le-modele-des-paradis-fiscaux-deviendrait-caduc?utm_medium=Social&utm_source=Facebook&Echobox=1617876910#xtor=CS2-4