Un dimanche, une chanson : Rêveurs
Lorsque l'on est jeune, en matière de politique, on a facilement le sentiment que c'est l'intention qui compte, et que si l'on est pétri de bonnes intentions, alors ce que l'on fait est bien, et le résultat sera à la hauteur de nos espérances.
Les baby-boomers, qui voyaient la génération précédente s’être effondrée dans la guerre, pas seulement avoir perdu face a des troupes étrangères, mais avoir dénoncé, menti, trahi, assassiné, retourné sa veste, fait tant et tant de turpitudes, qu'elle n'était absolument pas un modèle, même si, les Résistants, eux, étaient un modèle, il ne leur échappait pas qu'ils n'avaient pas représenté pendant toute la durée de la guerre l'écrasante majorité du pays.
Alors ils cherchaient ailleurs des modèles, dans les guerres de libération du tiers-monde, Che Guevara, Ho Chi Minh, des gens dont parvenait en Occident une image extraordinairement romantique, probablement très éloignée de la réalité, pour ne pas parler de Mao Tsé toung, vu à l'époque comme une sorte de libérateur, dont on sait aujourd'hui les dizaines de millions de morts que sa politique a engendrés.
Il y avait donc une ambiance générale de rupture avec le passé, de rupture avec des ainés dont le discours prônait d’abord la reconstruction du pays, et l’effort, alors que ce que la jeunesse voulait c'était vivre en liberté, jouir de sa jeunesse, et du plaisir du temps qui passe, en partageant au mieux tous les bonheurs que la vie pouvait donner, le partager entre tous les individus, qui étaient naturellement là pour être heureux…
Alors il y avait ceux qui se tournaient vers les petites fleurs, voire les champignons ou les herbes interdites, ceux qui se tournaient vers les diverses variétés de l'extrême gauche romantique, mais ils avaient tous en commun cette absence de réalisme, ce grand romantisme qui leur faisait penser que l'intention comptait plus que la précision ou la stratégie.
Et tous les ennuyeux qui voulaient les faire réfléchir, qui leur disaient que la jeunesse ça ne suffit pas pour changer le monde, leur semblaient tout à fait décrits par ce slogan qui avait à l'époque sensibilisé vigoureusement cette jeunesse, quel que fut son choix, et qui avait été produit par le groupe spontanéiste « Vive la révolution », qui disait : « Nous ne sommes pas contre les vieux, nous sommes contre ce qui les a fait vieillir ! ».
Et c'était là l’idée : ne pas vieillir, garder son âme d'enfant, garder son innocence, ne pas participer aux combinaisons, ne pas se salir les mains dans la politique, qui finalement se termine toujours affreusement comme elle le fit en juin 1940, par l'abdication devant le mal absolu.
C'est comme ça que fleurirent toutes sortes de groupes et d'organisations, une grande créativité, une grande fraîcheur, un grand Printemps, mais tout cela aboutit à la fin à donner la main aux forces du marché, c'est-à-dire aux forces du Capital le plus concentré, qui lui n'était pas du tout romantique, mais avait la finesse d'exploiter toutes ces intentions, pour les transformer en marchandise.
Ce qu’il fit. Avec beaucoup d’astuce et de chatoyance. En recrutant comme dirigeants de la création dans les grandes agences de publicité les plus créatifs de ces contestataires, pour donner à un avenir du tout-marché les allures de la liberté finale des individus.
C’est ce qui arrive lorsque au lieu d’essayer de construire un programme raisonné et réfléchi, on se laisse prendre par le romantisme, par les émotions plutôt que par la raison. Mais évidemment on n’est pas raisonnable lorsqu’on a 20 ans, et la très faible capacité de dialoguer avec la génération précédente explique probablement en partie cela.
Sans repères sérieusement fixés, l’évolution n’enseigne rien, et ressemble plus à une dérive qu’à une maturité. L’évolution de l’élite de cette génération, de l’extrême gauche vers le courant socialiste, s’est poursuivie par l’évolution du courant socialiste vers le néolibéralisme.
Pierre Moscovici, que je prends souvent en exemple de ce qu’est devenu aujourd’hui le Parti socialiste et ce courant politique, n’était-t-il pas membre de la Ligue communiste d'Alain Krivine dans sa jeunesse ? Celle-là même qui disait dans son « manifeste » de 1972 (« Ce que veut la Ligue communiste » ed. Maspero) que le Parti choisirait lui-même les directeurs des entreprises après la Révolution, le Parti pourrait même autoriser d’autres partis, si ceux-ci avaient pris le soin de soutenir la révolution et non de s’y opposer… mais en privé les responsables de la LC ne voyaient pas comment ce serait possible et le Parti unique leur apparaissait – à regret – comme la seule hypothèse vraisemblable. 
Et on a là une des réponses clef à la question : « Comment en sommes-nous arrivés là ».
Une chanson raconte ce mouvement, cette dynamique implacable. C’est surprenant mais la France est un pays où l’on arrive à faire des chansons sur beaucoup de choses y compris des raisonnements politiques qui ne sont pas si simples.
Le dimanche, avec plus ou moins de succès, mais pour le plaisir de quelques aficionados, je diffuse une musique sur cette page.
Je vous propose d’écouter aujourd’hui une chanson de 2009, dont les paroles ont été écrites par David McNeil et Alain Souchon, et la musique composée par ce dernier, qui l’interprète, elle s’appelle : « Rêveurs ».
Depuis 2009, de l'eau a coulé sous les ponts, et le mouvement engagé s'est poursuivi au-delà de ce que la chanson racontait. Les dynamiques sont plus fortes que les individus, et récemment, il y a un an, Alain Souchon – qui avait fait une chanson pour dire son soutien à Arlette Laguiller – est allé sur les médias dire à quel point il était un fervent soutien du télévangéliste qui narcisse à l'Élysée…
Gilles CASANOVA
Source : https://www.facebook.com/1504611594/posts/10218350070012161/