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Stellantis, la nouvelle étoile automobile qui pâlit déjà

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    Stellantis est désormais un nom à retenir parmi les grandes multinationales automobiles. Il est issu de la fusion de deux constructeurs européens majeurs, PSA et FCA, c’est-à-dire Peugeot et Fiat.

    L’opération a été annoncée dès le 30 octobre 2019. Ensuite, les équipes des deux entreprises ont planché durant un an sur un accord qui puisse être acceptable pour les deux parties. Ce dernier a été proposé aux actionnaires et aux autorités européennes de concurrence qui l’ont approuvé. Stellantis a vu la jour ce 16 janvier 2021.

    Officiellement, c’est FCA, basé à Amsterdam, qui reprend PSA. L’échange se déroule sur base de 1,7452 actions de FCA pour une action de PSA [1]. Mais le but est d’obtenir une parité totale 50%-50%. Le titre est coté sur les Bourses de New York (Wall Street), de Milan et de Paris-Amsterdam-Bruxelles (Euronext).

    Le choix du nom est particulier, car il est issu du latin stello qui signifie « briller d’étoiles ». Et les superlatifs volent pour décrire la naissance de ce mégagroupe. John Elkaan, le représentant de la famille Agnelli qui contrôlait Fiat, s’écrie qu’il s’agit d’une « fusion historique », prédisant [2] : « Nous jouerons un rôle de premier plan au cours de la prochaine décennie… » Louis Gallois, l’ancien président du conseil de surveillance de PSA affirme pour sa part [3] : « Nous vivons la plus grande fusion dans l’industrie automobile depuis son origine. »

    Mais les étoiles annoncées risquent de tourner autour des têtes de salariés groggys, quand ils seront confrontés aux conséquences concrètes de l’opération.

    De quelle couleur sera la nouvelle géante ?

    Stellantis s’installe clairement à la troisième ou quatrième place du secteur automobile. En 2019, s’il avait existé, le groupe aurait vendu 8,453 millions de véhicules, dont 3,878 pour PSA et 4,575 pour FCA. C’est derrière Volkswagen (10,956 millions), Toyota (10,74 millions) et l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi Motors (10,18 millions), pour autant que celle-ci fonctionne réellement comme un groupe, et au coude à coude avec General Motors (7,718 millions en 2019, mais 8,384 millions en 2018) [4].

    C’est clairement un titan au pays des voitures. Sa base est européenne, mais il dispose de solides installations en Amérique, au nord comme au sud. Il opère à partir de 14 marques différentes : Peugeot, Citroën, DS, Opel, Vauxhall (issues du Groupe PSA) et Fiat, Alfa Romeo, Lancia, Abarth, Maserati, Chrysler, Jeep, Dodge, RAM (issues du Groupe FCA). Les dirigeants n’escomptent pas en supprimer une, du moins à court terme.

    PSA possède 18 usines d’assemblage, 13 unités produisant des composants, essentiellement des moteurs, des transmissions et des boîtes de vitesse, et 5 centres de recherche. En outre, il participe à 7 joint-ventures dans la fabrication de véhicules, dont certaines sont importantes (Kolin avec Toyota, Sevelsud avec FCA et DCPA avec le constructeur chinois Dongfeng), et réalisent des modèles à partir d’accords de coopération où des sites fournissent des voitures supplémentaires en fonction des ventes [5]. FCA, pour sa part, apporte 94 sites de production industrielle et 39 centres de recherche [6].

    Au total, Stellantis devrait comptabiliser un chiffre d’affaires de 163 milliards d’euros, derrière Volkswagen (253 milliards), Toyota (245 milliards) et Daimler (173 milliards) [7]. Il emploiera quelque 292 000 salariés, 115 000 venant du groupe Peugeot et 177 000 de Fiat-Chrysler [8]. Fin 2019, la capitalisation boursière des deux firmes, soit la valeur totale des actions placées en Bourse, s’élevait à quelque 40 milliards d’euros, loin derrière Toyota (206 milliards), Volkswagen (88 milliards), Daimler (53 milliards) ou même BMW et General Motors (47 milliards tous deux), et Honda (46 milliards) [9]. Début février 2021, ce montant n’avait progressé qu’à 42 milliards, avec une tendance à la baisse depuis la mise sur le marché des nouvelles parts de capital [10].

    Le nouveau groupe, uni à parités égales, présente la physionomie suivante.

    Schéma simplifié du nouveau groupe fusionné Stellantis. Source : PSA FCA – EU Prospectus, 20 novembre 2020, p.140.

    La nouvelle structure a pour vocation de se consacrer quasi exclusivement à la production des véhicules du futur et d’y consacrer l’essentiel des investissements. Dès lors, Fiat a promis de vendre sa filiale robotique, Comau [11], dont le chiffre d‘affaires évalué se monte à plus d’un milliard d’euros et qui occupe 9000 salariés environ. Cette firme créée en 1973 a installé le parc de machines et d’automates dans de nombreuses usines italiennes d’assemblage. Elle a dernièrement refondé à l’aide de 187 robots l’équipement du site Mirafiori à Turin pour lui permettre de monter des batteries électriques sur les nouvelles Fiat 500. La tôlerie a également été mise en adéquation pour ce projet [12]. Mais la direction estime préférable de se détacher de ce secteur pour lui permettre d’approvisionner d’autres constructeurs et de ne pas consacrer les capitaux nécessaires à son développement. Avant la pandémie, elle escomptait que cette cession lui rapporterait entre 1,5 et 2 millions d’euros.

    Pour sa part, PSA a décidé de se séparer de Faurecia, sa société spécialisée dans la production de composants automobiles et dont il détient le contrôle du capital, avec 46,3% des parts, mais 63% des droits de vote [13]. Cette participation résulte de la volonté ancienne des firmes automobiles de posséder l’entièreté de la chaîne de fabrication. En outre, la filiale n’a cessé de s’agrandir en fusionnant ou en rachetant d’autres équipementiers : Bernard Faure, Sommer-Allibert… Aujourd’hui, les géants de la voiture ont abandonné les départements réalisant des pièces à des sous-traitants, à l’exception de ce qui caractérise un bolide, le moteur, la transmission, voire la boîte de vitesse. En 2018, le dernier d’entre eux à céder sa filiale n’était autre que Fiat qui a vendu Magneti Marelli pour 5,8 milliards d’euros. Avant l’arrivée du Covid-19, les analystes pensaient que Peugeot pouvait retirer 2,7 milliards d’euros de cette transaction [14].

    Avec ses projets de cession, la Commission européenne n’a pas trouvé grand-chose à redire à la fusion. Sa seule inquiétude portait sur le marché des petits véhicules utilitaires légers où les parts des deux constructeurs cumulés étaient importantes, voire même très élevées, dans certains pays [15]. Les autorités de la concurrence craignaient alors une hausse des prix pour les clients. Elles ont donc proposé deux aménagements : d’abord, dans l’accord qui lie Peugeot et Toyota, par lequel le premier produit les automobiles que vend le second ; il est demandé que la proportion allouée à la firme japonaise soit augmentée ; ensuite, pour les réparations et entretiens de ces véhicules, il doit être possible aux concurrents d’avoir accès aisément aux réseaux conjoints de FCA et de PSA [16].

    Après le feu vert donné par la Commission, les principaux actionnaires des deux multinationales n’ont plus eu qu’à avaliser le projet, Stellantis était né.

    Un petit coin de paradis… fiscal

    Même si les centres opérationnels demeurent en France, en Italie et aux États-Unis, le nouveau groupe a installé ses quartiers généraux à Lijnden, à quelques encablures de Schiphol, l’aéroport international d’Amsterdam. En fait, il a repris les installations de FCA, qui, suite à la fusion entre Fiat et Chrysler en 2014 [17], avait choisi la capitale néerlandaise comme port d’attache. Il avait également établi sa direction financière à Londres. Cette fois, Brexit oblige, tout sera concentré aux Pays-Bas.

    Stellantis n’est pas le premier holding à fixer sa base dans la capitale néerlandaise. L’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi Motors y a aussi placé son centre névralgique, tout comme EADS, le géant européen de l’aéronautique qui produit les Airbus, et bien d’autres. Mais qu’est-ce qui pousse ces multinationales à opter pour le nord de l’Europe pour y loger leur siège social ?

    Certes, les Pays-Bas forment généralement un emplacement plutôt neutre par rapport à des conglomérats aux influences françaises, allemandes, italiennes, britanniques… Mais c’est loin d’être le seul atout. Et ce n’est certainement pas le principal.

    En fait, l’État néerlandais a organisé un véritable parc d’attractions à l’intention des grands groupes financiers. En tout premier lieu, il est aux petits soins pour ces investisseurs. Il fournit une aide juridique et une simplification administrative permettant d’enregistrer rapidement la nouvelle société.

    Un des aspects les plus intéressants de la législation batave est la procédure de tax ruling pour les sociétés financières. L’entreprise négocie avec l’administration le niveau d’impôt qu’elle paiera durant les cinq ou dix ans à venir, peu importe les modifications de taux qui pourraient intervenir par la suite. Auparavant, l’opacité complète était assurée. Avec les différents scandales, les Pays-Bas publient les accords obtenus, mais en taisant le nom des firmes impliquées [18]. Ils sont aussi tenus de répondre aux autres États qui demanderaient des renseignements sur certains arrangements avec des firmes opérant chez eux.

    La Commission européenne considère ce système comme une aide publique déguisée. Elle a interpelé le gouvernement de La Haye sur ce point et l’a condamné dans l’un des cas d’avantages fiscaux. Immédiatement, le pouvoir néerlandais a interjeté appel de cette décision devant la Cour de Justice européenne [19]. L’affaire est en attente.

    Mais le système qui attire tous les groupes multinationaux européens est celui qui exonère de toute taxe les dividendes et les plus-values provenant des filiales. Ceci vaut pour les relations entre sociétés mères et leurs succursales en Europe. Mais depuis 2018, cela s’applique aussi pour les États avec lesquels un traité bilatéral a été signé avec La Haye. Cela représente un peu moins d’une centaine de pays [20]. Mais, même si un tel pacte n’existe pas, la firme peut encore bénéficier d’une réduction d’impôt. Il suffit que celle-ci montre qu’elle a des activités réelles sur le sol néerlandais, que ce n’est pas une coquille vide.

    En outre, les pouvoirs publics ont mis en place à partir de 2018 une innovative box (une boîte à innovations), permettant aux firmes de ne payer un impôt sur les bénéfices tirés des brevets ou autres formes de propriété intellectuelle de 7% (9% à partir de 2021), contre 20 à 30% ailleurs. Aux Pays-Bas, cette taxe sur les profits s’élève à 25%. Mais elle a été abaissée à 21,5% à partir de 2021. Ce mécanisme d’optimisation fiscale a été largement mis à profit par les géants des technologies : en effet, il suffit de facturer aux filiales sous forme de redevance le droit d’utiliser la marque ou autre particularité du groupe [21]. Et les fonds glissent naturellement vers le paradis néerlandais, où ils sont peu taxés.

    Lancé dans une course pour définir la voiture de demain, électrique, autonome, connectée, Stellantis va pouvoir utiliser à loisir toutes ces dispositions fiscales pour récolter à l’avantage de ses actionnaires les fruits de ces innovations.

    Deux familles en or et en argent

    La parité complète s’impose entre les deux groupes, car chacun est contrôlé et dirigé par une ancienne famille industrielle européenne, les Peugeot et les Agnelli. Aucune des deux ne veut abandonner la mise et, si elles projettent de s’associer, c’est par nécessité pour résister face à des concurrents de plus en plus puissants.

    L’origine dynastique des Peugeot remonte au XVIIIe siècle, lorsque Jean-Pierre est recensé comme meunier à Hérimoncourt, au sud-est de Montbéliard. Il y dirige une entreprise de teinturerie et de meunerie d’huiles et de céréales. En 1810, ses deux fils aînés investissent dans la métallurgie, pendant que deux autres développent l’activité textile. En 1885, c’est Armand qui lance la firme dans la production de bicyclettes. Six ans plus tard, il s’associe à Émile Levassor, qui fabrique des moteurs sous licence Daimler, et sort la première automobile. L’usine principale est, dès 1897, celle d’Audincourt, quasiment dans les faubourgs de Montbéliard. Elle est déplacée en 1912 à Sochaux, qui deviendra le centre industriel historique du constructeur.

    La compagnie devient une des premières parmi les sociétés françaises ainsi que parmi les multinationales du secteur. En 1974, elle prend une participation dans Citroën, moribond. Puis, elle en prend le contrôle intégral deux ans plus tard. En 1978, elle acquiert les actifs européens de Chrysler. Cela signifie une unité de production à Poissy sous la marque Simca, une autre à Madrid et une troisième à Ryton en Angleterre. En 2017, elle rachète la filiale de General Motors sur le vieux continent, soit Opel (et Vauxhall en Grande-Bretagne). En 2019, PSA, (Peugeot société anonyme) est le dixième constructeur mondial en ce qui concerne la vente de véhicules [22].

    Pour sa part, la famille Agnelli trouve ses origines chez des seigneurs féodaux comme les comtes de Loreto avant le Xe siècle, connus sous le nom de Nielli d’Alba, une région au sud de l’actuel Piémont. Mais, au XVIIIe siècle, une erreur d’écriture a transformé leur nom en Agnelli. Ce sont des propriétaires terriens, lorsque Giovanni, passionné de mécanique, se lance dans des tentatives infructueuses d’entreprises dans ce secteur. En 1896, il s’installe à Turin et, trois ans plus tard, fonde Fiat [23].

    En 1915, il érige à Lingotto ses installations d’inspiration fordienne. En 1936, il ira encore plus loin essayant de reproduire le complexe River Rouge de Dearborn de Ford à Mirafiori, toujours au sud de Turin. Il s’impose comme le principal producteur de véhicules dans la péninsule. Il se diversifie dans d’autres activités mécaniques et même dans la presse, La Stampa, ou le football, la Juventus reprise en 1923. Il prendra la carte de membre du parti national fasciste en 1932. Il meurt en 1945.

    Ses successeurs sont ses petits-fils, Gianni, dit L’Avocato, parce qu’il a suivi des études de droit (mais jamais exercé), et Umberto. Ils sont trop jeunes pour diriger. C’est donc Vittorio Valletta qui assure la « régence ». Dès la reprise après la guerre, les dirigeants de Fiat collaborent avec la CIA entre autres pour empêcher que le parti communiste italien, le plus puissant à l’époque en Europe occidentale, d’accéder au gouvernement de Rome.

    En 1966, Gianni devient président de Fiat et prend les rênes du conglomérat. Il avait épousé treize ans plus tôt la princesse Marella Caracciolo di Castagneto. Il prend une dimension internationale, étant un des fondateurs en 1973 de la Trilatérale, ce club d’hommes influents de la Triade (Europe, Amérique du Nord, Japon) [24]. Dix ans plus tard, il est l’un des inspirateurs de la Table ronde des industriels européens, ce lobby d’une cinquantaine de dirigeants de multinationales qui a eu une telle importance dans la construction européenne.

    Il rachète progressivement tous les concurrents de la péninsule : Autobianchi en 1968, Lancia en 1969, Abarth en 1971, Alfa Romeo en 1986 au nez et à la barbe de Ford, Maserati en 1987. En 1969, Fiat acquiert 50% de Ferrari. Vingt ans plus tard, la spécialiste de formule un devient une filiale du groupe turinois.

    Gianni meurt en 2003. Son frère Umberto lui succède, mais pour un an seulement, car il décède à son tour. À ce moment, aucun héritier n’est en mesure de diriger la structure. La famille est obligée de recourir à un manager indépendant, Sergio Marchionne, administrateur délégué de Fiat de 2004 jusqu’à sa mort, en 2018. C’est progressivement John Elkann, petit-fils de Gianni [25], qui reprendra le flambeau dynastique, devenant président de la célèbre marque en 2010.

    À partir de 2009, le constructeur italien reprend Chrysler, quasiment en faillite. En 2014, ce dernier est totalement intégré et la société change de nom en FCA (Fiat Chrysler Automobiles). En 2019, il se classe au huitième rang des constructeurs mondiaux en termes de ventes mondiales [26].

    Ces deux familles de notables au rayonnement international ont donc une longue tradition industrielle derrière eux. Il n’est pas aisé de les réunir dans un même projet qui les lie pour l’avenir à parités égales.

    Le grand théâtre des négociations

    Ce n’est pas faute d’essayer. Depuis des lustres, on évoque leur association. Mais, à chaque fois, les rumeurs sont démenties. Dès 1978, ils fondent une nouvelle société ensemble, Sevel [27], pour réaliser des véhicules utilitaires et des monospaces légers. Ils installent une usine pour les fabriquer à Atessa dans les Abruzzes. Ensuite, ils se les répartissent en modèles Fiat, Peugeot ou Citroën. Les premières automobiles sortent en 1981.

    L’expérience est un succès, car elle permet de produire en diminuant les coûts de production sur un volume de plus de 200 000 voitures [28] (ce qui n’aurait pas été possible si les deux firmes avaient investi séparément), que les deux compères lancent en 1993 une petite sœur à Hordain, près de Valencienne, intitulée Sevel Nord. L’entité française est managée par Peugeot, pendant que le site italien est géré par Fiat. Mais, en 2011, le groupe turinois, embarqué dans la reprise de Chrysler, ne juge plus la filiale nordiste nécessaire. Il se retire, laissant PSA le soin de trouver un partenaire ou de fermer l’entité. C’est la première solution qui est choisie avec l’arrivée de commandes pour Toyota.

    Plusieurs manœuvres de rapprochement sont tentées ensuite, notamment en 2009 et en 2014. Sans succès. Mais la situation change. D’abord, il y a la crise économique, qui affecte les deux multinationales. Fiat est embourbé dans les dettes après la reprise de Chrysler. PSA est quasiment acculé à la faillite en 2013. Il ne doit sa survie qu’à l’apport de capitaux venant de l’État français et de son partenaire chinois Dongfeng. De ce fait, la famille Peugeot n’est déjà plus seul maître à bord. Lors des discussions à l’intérieur du holding familial, certains plaidaient pour abandonner l’automobile.

    Ensuite, il y a les mutations technologiques qui doivent apporter la voiture du futur comme un produit électrique, donc théoriquement peu polluant, autonome, capable de se diriger sans pilote, et connecté, pour pouvoir se diriger dans un espace déterminé. Cela nécessite d’énormes investissements et des connaissances que ne maîtrisent pas habituellement les constructeurs.

    À partir de juillet 2018, les négociations secrètes entre les deux groupes reprennent. Elles s’intensifient même. Le 1er avril 2019, les deux firmes acceptent de s’échanger les informations confidentielles pour envisager concrètement la coopération [29]. Les réunions entre collaborateurs se multiplient.

    Seulement, parallèlement, John Elkaan et Carlos Ghosn, le tout-puissant patron de Renault, prennent contact également [30]. Les Agnelli semblent davantage demandeurs d’une alliance. Ils y tiennent absolument, peu importe les conséquences. L’ancien directeur général, Sergio Marchionne, en était convaincu : seuls les plus puissants subsisteront dans l’industrie automobile. En 2015, il essaie d’entamer une fusion avec General Motors, mais la firme de Detroit fait la sourde oreille.

    Les pourparlers avec Renault aboutissent en premier. Le 27 mai 2019, FCA propose officiellement une intégration des deux groupes. Sans doute, les Agnelli voient le cours de l’entreprise française s’effondrer suite à l’arrestation de son patron au Japon et son incarcération [31]. Ils pensent obtenir un accord avantageux avec cette firme à la tête de l’Alliance. C’est une véritable opportunité.

    Les termes avancés par FCA sont particuliers, car ils ressemblent comme deux gouttes d’eau à ceux qui seront conclus plus tard avec PSA. En effet, la fusion doit être à parités égales, avec le même nombre d’administrateurs, cinq chacun. John Elkann aurait la présidence et Dominique Senard, le PDG qui a succédé à Carlos Ghosn, le poste de directeur général, donc le patron exécutif de la structure [32]. La société issue de l’accord serait installée à Amsterdam. Les actionnaires du constructeur italien bénéficieront d’un dividende exceptionnel pour compenser l’écart de valorisation boursière entre les deux conglomérats. Le but affiché est de mettre en commun les capitaux nécessaires pour investir dans la voiture de demain. Il n’y aurait pas de fermeture d’usines, promet-on.

    Carlos Tavares, le président de PSA et ancien numéro deux de Renault avant de se faire larguer par le roi soleil de l’époque, l’autre Carlos [33], est outré. De suite, il rédige un mémo qui fait le tour de Paris, de quoi mettre de l’huile sur le feu. Il y est écrit effectivement : « La valorisation actuelle de Renault explique en grande partie l’intérêt de Fiat pour une fusion. » De ce fait, l’opération est qualifiée de « prise de contrôle virtuelle de Renault par Fiat » [34].

    Mais surtout les dirigeants de l’ancienne régie ne parlent pas de ces discussions avec leurs partenaires de l’Alliance. Nissan apprend la nouvelle par Fiat la veille du jour de l’officialisation des fiançailles [35]. C’est la douche froide à Yokohama. Depuis les accusations de malversations financières contre l’ancien patron, Carlos Ghosn, les tensions s’accroissent avec Renault. Ne pas être tenu au courant des négociations en cours avec FCA, ce qui manifestement déséquilibrerait encore un peu davantage l’Alliance, ne plaît pas du tout aux responsables japonais. Diplomatiquement, ils demandent à étudier le dossier avant de se prononcer.

    Comprenant que leur partenariat avec Nissan est en danger, les représentants de l’État français, principal actionnaire de Renault, même s’ils sont favorables au projet avec le groupe turinois, exigent un peu de temps pour réfléchir aux conséquences d’une telle initiative. Mais ce qui intéresse les Agnelli dans l’opération, c’est justement la percée possible sur l’immense marché asiatique lucratif et en plein développement qu’offrent aussi bien Nissan que Mitsubishi Motors [36]. La multinationale turinoise est peu présente dans ces territoires.

    Fiat presse donc les dirigeants français à prendre position. Le 30 mai, les négociateurs italiens lancent un ultimatum [37] : « L’offre de FCA n’est pas négociable. (…) Cette proposition semble équitable, elle a été approuvée par le conseil d’administration. C’est à prendre ou à laisser, et rapidement ! » Il est probable que les responsables piémontais se sont rendu compte que Nissan allait refuser l’accord, puisque leurs managers avaient été tenus soigneusement à l’écart du projet. De plus, leur firme allait être minorisée au sein du nouveau groupe tentaculaire, au moment où celle-ci exige une revalorisation au sein de l’Alliance, considérant qu’elle en est le principal noyau, alors qu’au niveau du capital c’est Renault le propriétaire. Or, sans l’apport nippon, l’association est beaucoup moins intéressante pour Turin.

    L’État français essaie de tergiverser et demande des délais supplémentaires. Mais rien n’y fait. Fiat annonce le 6 juin que l’offre ne tient plus.

    Carlos Tavares en profite. Il réanime les contacts avec Turin. Auparavant, les querelles de clocher dominaient encore les négociations. « Ni les Peugeot ni les Agnelli ne voulaient céder leur affaire », explique une personne participant aux pourparlers [38]. Ils n’étaient ni d’accord sur la valorisation de leur entreprise ni d’accord sur le futur contrôle du nouvel ensemble. Mais, cette fois, le patron portugais de Peugeot ne veut plus rien entendre. Il faut aboutir.

    Les deux groupes mettent en route leurs experts financiers pour résoudre toutes les difficultés éventuelles dès juillet. Ainsi, Erik Maris de Messier Maris & Associés [39] et la banque américaine Morgan Stanley représentent Peugeot, tandis que Alain Minc et Goldman Sachs négocient pour FCA [40]. Le 27 octobre, lors d’une entrevue entre Carlos Tavares et John Elkann, les deux firmes acceptent l’idée d’une fusion à parités égales et la distribution d’un dividende exceptionnel aux actionnaires après la vente des filiales Comau et Faurecia [41].

    Le 17 décembre, l’annonce de l’intégration future des deux groupes est officialisée. Ceux-ci se donnent un an pour finaliser l’accord et pour présenter le projet aux autorités de la concurrence. Peugeot accepte de racheter une partie de la participation de Dongfeng dans le constructeur français [42]. Ce même jour, les deux conseils d’administration approuvent les termes du partenariat [43].

    Finalement, le processus aboutit au dépôt du plan de fusion le 20 novembre 2020. Un mois plus tard, la Commission renvoie son avis favorable. Les actionnaires de deux multinationales se déclarent sans surprise partisans de l’opération, le 4 janvier 2021. Celle-ci peut donc se conclure dans la création de Stellantis le 16 janvier 2021.

    Un contrôle vraiment paritaire ?

    Les deux partenaires ont fortement insisté sur le caractère équilibré de l’entité issue de la fusion. Il n’y aurait pas d’avantages pour une famille par rapport à l’autre. Elles auraient toutes deux un pouvoir quasi équivalent, aussi bien dans le capital que dans les organes de direction.

    En fait, l’inégalité apparaît dès que l’on consulte ce qui est le nouvel actionnariat de Stellantis. Le tableau 1 reproduit l’évolution de celui-ci des deux groupes intégrés à la nouvelle structure.

    Tableau 1. Actionnariat de PSA et de FCA en 2019 et de Stellantis en 2021 (en %)

    PSA
    Exor

     28,7
    14,4
    Peugeot
    12,2

    7,2
    Dongfeng
    12,2

    5,6
    État français (BPI)
    12,2

    6,2
    Autres
    63,3
    71,3
    66,6
    Total
    100,0
    100,0
    100,0

    Sources : PSA, document d’enregistrement universel 2019, p.301, FCA, Annual Report and Form 20-F 2019, p.19, et PSA FCA – EU Prospectus, 20 novembre 2020, p.231.

    Il est très clair de cet aperçu que l’actionnaire principal sera la famille Agnelli qui contrôle le holding Exor à 53%44. Celui-ci est le bras industriel actif de la dynastie. Fondé en 1927 sous le nom d’Istituto Finanziario Industriale (Institut financier italien ou IFI), il prendra le nom actuel en 1993.

    Le tableau 2 reprend ses principales participations.

    Tableau 2. Principales participations du groupe Exor en 2019 (en %)

    Firme
    Secteur
    Parts
    Droits de vote
    % du total
    PartnerRe
    assurances
    100,0
    97,2
    30,0
    Ferrari
    automobile de luxe
    22,9
    35,8
    24,6
    FCA
    automobile
    28,7
    42,4
    22,2
    CNH Industrial
    machines, véhicules utilitaires
    26,9
    42,2
    13,5
    Juventus
    football
    63,8
    63,8
    4,0
    The Economist
    presse
    43,4
    20,0
    1,2
    Autres

    4,5

    100,0

    Source : Exor, Rapport annuel 2019, p.6.

    Cela va de l’assurance à l’automobile et à la construction de machines en passant par la presse et le football. À chaque fois, Exor est clairement le propriétaire de référence, assurant le contrôle total sur ces entreprises. Le holding a son siège social également à Amsterdam. Grâce au dividende extra obtenu avec la fusion, il est en train de placer ses fonds dans l’habillement de luxe. Il a ainsi pris 24% de la firme Christian Louboutin, spécialisée dans la chaussure, pour un montant de 541 millions d’euros. Il détient une part équivalente aux fondateurs [44].

    En 1984, Gianni a réuni les intérêts de la famille, composée d’une centaine de représentants, dans une société en commandite limitée [45], la Giovanni Agnelli B.V., installée à la même adresse qu’Exor. C’est cette firme qui détient les 53% de la famille dans cette dernière. La dynastie est divisée en deux branches principales : les Agnelli proprement dits, descendants d’Edoardo Agnelli et de Virginia Bourbon del Monte, qui détiennent près de 72% des parts (dont 38% pour John Elkann) ; les Nasi, descendants de Carlo Nasi et Aniceta Agnelli, qui en possèdent 21% ; le reste étant un autocontrôle (pour 6%) et la propriété de la Fondation Giovanni Agnelli (pour 1%). John Elkann est le président des deux entités.

    Pour sa part, la famille Peugeot est représentée officiellement aussi par un holding, le groupe FFP (anciennement Société foncière financière et de participation) [46]. À côté de la participation dans PSA, cette compagnie conserve également 5% de SEB (Société d’Emboutissage de Bourgogne), leader mondial du petit équipement domestique, 0,7% de Safran, groupe d’aéronautique et de défense, 5% d’Orpea, chaîne de maisons de repos, 2,4% de Total Eren, une collaboration entre deux groupes (Total et Eren) dans l’énergie renouvelable. Elle devrait conserver un contrôle sur Faurecia [47].

    Ce sont les Établissements Peugeot Frères qui en sont les principaux actionnaires avec 80% des parts, mais près de 90% des droits de vote. Les autres titres sont disséminés dans le public. Inutile d’ajouter que le conseil d’administration est composé essentiellement des membres de la famille, dont Roger le président.

    L’accord entre les deux multinationales prévoit un organe de direction paritaire, cinq membres désignés par PSA, cinq autres par FCA. Le onzième est le directeur général, à savoir Carlos Tavares. John Elkann acquiert le titre de président de l’ensemble et Roger Peugeot celui de vice-président.

    Le tableau 3 présente la composition de ce premier conseil d’administration de Stellantis.

    Tableau 3. Membres du premier conseil d’administration de Stellantis

    Nom
    Pays
    Fonction
    Nommé par
    Autres fonctions
    Carlos Tavares
    Portugal
    Directeur général
    PSA
    Ancien n°2 Renault
    John Elkann
    Italie-USA
    Président
    Exor
    Président Exor
    Robert Peugeot
    France
    Vice-président
    Famille Peugeot
    Président FFP
    Andrea Agnelli
    Italie
    Administrateur
    Exor
    Président Juventus
    Henri de Castries
    France
    Administrateur
    PSA
    Ancien président Axa
    Fiona Clare Cicconi
    Italie-GBR
    Administrateur
    FCA
    DRH Google et AstraZeneca
    Nicolas Dufourcq
    France
    Administrateur
    BPI
    Directeur général BPI
    Ann Frances Godbehere
    Canada-GBR
    Administrateur
    PSA
    Directrice Shell
    Wan Ling Martello
    USA
    Administrateur
    FCA
    Cofondatrice BayPine
    Jacques de Saint-Exupéry
    France
    Administrateur
    PSA
    Représentant salariés
    Kevin Scott
    USA
    Administrateur
    FCA
    Vice-président Microsoft

    Sources : PSA FCA – EU Prospectus, 20 novembre 2020, p.141, et Stellantis, Gouvernance, Leadership [48].

    En fait, il y a assez peu d’administrateurs venant directement de FCA et de PSA. Ceux-ci restent sans doute en poste dans ce qui est devenu des filiales du groupe.

    Il est à noter que, dans les dix membres nommés, il y a deux représentants du personnel : Jacques de Saint-Exupéry pour Peugeot et Fiona Clare Cicconi pour Fiat. Cela a donné lieu à une polémique avec les syndicats. En effet, le qualifié français est le résultat d’une négociation avec les délégués du personnel. Ce n’est pas du tout le cas pour sa collègue italo-britannique, qui a été désignée par la direction turinoise.

    Dans un communiqué, la Fim Cisl [49] indique : « Nous exprimons notre insatisfaction et notre déception quant au manque d’implication des syndicats dans l’identification de la personne représentant les travailleurs de FCA. » Elle ajoute [50] : « C’est une erreur de FCA qui a décidé de "choisir seul" ce représentant. » Pour leur part, la Fiom-Cgil [51] et l’Uilm [52] ont également regretté cette nomination sans la participation des travailleurs.

    Pour l’instant, c’est la lune de miel. Sans doute, avant la lutte de fiel. En effet, la plupart des fusions entre égaux se transforment en domination d’une partie sur l’autre. Les exemples sur ce point sont nombreux : le cimentier français Lafarge englouti dans Holcim, le chimiste Aventis, issu de l’intégration entre Rhône-Poulenc et Hoescht, absorbé par Sanofi, les assurances UAP mangées par la puissante Axa, Daimler qui s’empare de Chrysler en 1998, néglige le partenaire américain, pour le rejeter complètement en 2007, deux ans avant la faillite du constructeur de Detroit et la reprise progressive par Fiat…

    Lors de l’annonce du mariage avec Renault, la CGT s’inquiétait fortement d’une telle éventualité [53] : « Dans le cadre d’une fusion Renault-FCA à 50-50, la famille Agnelli serait l’actionnaire de référence (avec une minorité de blocage) avec 15 % du capital (...), l’État français descendrait à 7,5 %, perdrait sa minorité de blocage et il n’aurait plus de représentant dans le nouveau conseil d’administration. (…) Autrement dit, rien n’empêcherait l’actionnaire italien de privilégier sa base nationale. » La situation n’est guère différente dans le cas présent, il suffit de remplacer Renault par Peugeot.

    Ce qui a convaincu les Sochaliens d’accepter cette inégalité est la possibilité pour le holding FFP de racheter 2,5% des actions de Dongfeng et du partenaire public, la BPI [54]. Cela permettrait à la dynastie française de remonter à 12,2% et de se rapprocher des 14,4% d’Exor. C’est une option obtenue pour huit ans. Mais sera-ce suffisant ?

    Un analyste de Renault affirmait à l’époque [55] : « Il suffit de se souvenir de ce que les Agnelli ont fait avec Chrysler : ils ont trait la vache à lait sans investir pour le futur et en laissant Fiat dépérir. » Et un banquier ajoute [56] : « Tout le monde sait bien que l’un doit prendre le dessus. » Sur ce plan, les Agnelli sont incontestablement en meilleure position que les Peugeot.

    Des capitaux pour les défis technologiques et environnementaux

    Dans un communiqué conjoint, les deux groupes ont déclaré que l’ambition de la nouvelle entité était « d’unir leurs forces pour construire un leader mondial » [57]. En clair, il s’agissait de se retrouver dans le peloton de tête du secteur.

    Mais, en réalité, l’objectif est clairement de réunir les capitaux nécessaires pour investir dans le véhicule de demain, à savoir électrique, autonome et connecté. Ainsi, Louis Gallois, président du conseil de surveillance de PSA, explique [58] : « Il sera plus facile de fabriquer des batteries compétitives avec un ’marché interne’ de quelque 8 millions de voitures. »

    Le but premier est de réduire les émissions de CO2, vu les réglementations de plus en plus strictes exigées par les différents pays. Les spécialistes estiment à 250 milliards d’euros le montant nécessaire d’ici à 2025 pour obtenir ce résultat [59]. Ces sommes colossales en jeu seront mieux financées par des constructeurs de plus en plus puissants.

    Romain Gillet, analyste chez IHS Markit [60], précise : « Oui, la taille critique est beaucoup plus importante aujourd’hui qu’il y a 15 ans. Notamment parce que les investissements sont plus importants qu’avant. On ne fait plus du ’business as usual’ [61]. Les contraintes réglementaires liées à la réduction des émissions de CO2, par exemple, obligent les constructeurs à électrifier leur gamme, que ce soit avec des véhicules hybrides ou 100 % électriques. Le développement des voitures connectées aussi impose aux constructeurs d’investir dans la R & D, dans des domaines qui sont en dehors de leurs compétences traditionnelles. Atteindre une taille critique, en fusionnant avec un autre fabricant, permet de partager ces investissements. Si Fiat Chrysler est en retard dans l’électrification de sa gamme, PSA a aussi besoin de l’apport de FCA pour continuer de développer cette technologie et atteindre des volumes plus importants [62]. »

    Effectivement, le rachat de Chrysler a entraîné le doublement des dettes à long terme du groupe italo-américain de 12 milliards d’euros en 2008 à 26 milliards en 2014 [63]. Dans ces conditions, Sergio Marchionne sacrifie en quelque sorte les investissements. FCA dépense 8 milliards et même 5,4 milliards en 2018, là où Volkswagen avance 20 milliards et Toyota 28 milliards ou Nissan 14 milliards.

    Pour réduire l’impact des emprunts, le conglomérat turinois vend à tour de bras, notamment l’équipementier Magneti Marelli, au japonais Calsonic Kansei, en octobre 2018 pour 5,8 milliards d’euros. Dans cette perspective, la voiture électrique sera pour plus tard. L’année suivante, la multinationale, qui avait misé sur le diesel dont les ventes chutent, a constitué un pool avec Tesla, le champion du véhicule électrique et qui ne donc ne consomme pas de CO2, pour passer ensemble les tests de l’Union européenne et des États-Unis en matière de pollution [64]. C’est un accord de 1,8 milliard d’euros pour trois ans (jusqu’en 2022). Cela lui a permis d’éviter de payer une amende de 390 millions d’euros en 2019 [65] et de deux milliards en 2021 [66].

    Ce n’est qu’en juin 2018 que le groupe se lance dans un projet de 9 milliards d’euros sur cinq ans pour verdir sa gamme de modèles [67]. Le point d’orgue de cette stratégie est l’installation de 187 robots par Comau dans l’usine de Mirafiori en juillet 2019 de sorte à pouvoir sortir des chaînes une version électrique de la nouvelle Fiat 500 [68]. Les autres véhicules devraient suivre. Parallèlement, FCA a conclu en juillet 2020 un contrat avec Waymo, filiale d’Alphabet, la maison mère de Google et leader de la technologie de conduite sans pilote, pour développer des automobiles autonomes [69]. Le but est d’équiper les camionnettes Ram de ces systèmes sophistiqués.

    Actuellement, sur ce projet de véhicules sans conducteur, deux ensembles mènent la danse au niveau international : celui qui regroupe BMW, FCA (Fiat), Audi (VW) et Intel/Mobileye [70] et l’autre reprenant Toyota, GM et Nvidia, entreprise californienne spécialisée dans les technologies d’informatique visuelle.

    Si Fiat est à la traîne, même avec une volonté de rattraper son retard, PSA, par contre, avance à grands pas. Depuis 2019, tous les types sont déclinés en format électrique. Entre 2019 et 2021, le groupe présente sept modèles hybrides et cinq électriques, produits sur les mêmes lignes que les voitures à combustion [71]. De ce fait, il dispose d’une gamme complète avec des technologies diversifiées, allant de l’hybridation légère à l’électrique pur, en passant par l’hybride rechargeable et même l’hydrogène [72].

    En outre, PSA est à la pointe dans le projet de créer un grand producteur européen de batteries électriques, qui représente un tiers de la valeur du véhicule de ce type. Pour l’instant, le vieux continent est très en retard, derrière le chinois Contemporary Amperex Technology (CATL, 23 % de l’offre mondiale), le japonais Panasonic (22 %), un autre chinois BYD (13 %), les Sud-Coréens LG-Chem (10 %) et Samsung-SDI (5,5 %). La part de marché des firmes européennes ne s’élève jusqu’à ce jour qu’à un petit pourcent [73].

    Aussi la Commission a décidé de prendre les taureaux par les cornes. Maroš Šefčovič, vice-président de la Commission et commissaire en charge de l’Énergie à l’époque, a lancé en octobre 2017 une plateforme European Battery Alliance (Alliance européenne pour les batteries), réunissant autour de ce projet sept États membres (France, Allemagne, Italie, Pologne, Belgique, Suède et Finlande), 17 firmes industrielles dont BMW, PSA, Saft (filiale de Total depuis 2016), BASF et Solvay, 70 partenaires externes et la Banque européenne d’investissement [74]. Il s’agit de créer un géant dans le secteur. On qualifie parfois cette initiative d’Airbus des batteries, en raison de sa dimension politique et franco-allemande [75].

    Le programme est financé à concurrence de 3,2 milliards d’euros par les pays participants et de 5 milliards par le privé. Il s’échelonne en plusieurs étapes. Dans un premier temps, en janvier 2020, une unité pilote de Saft à Nersac, près d’Angoulême, a été préparée pour effectuer les essais techniques, de sorte à vérifier la faisabilité de produire des batteries électriques de nouvelle génération. Elle est devenue opérationnelle en septembre. À ce moment, PSA et Saft ont décidé de créer une co-entreprise, Automotive Cells Company (ACC), administrée par le directeur industriel du constructeur sochalien, Yann Vincent. Un centre de recherche dédié a été implanté à Bruges, une commune du nord de Bordeaux. Celui-ci devrait accueillir 50 salariés, alors que le site industriel de 170 personnes devrait voir les effectifs monter à 320 [76].

    À un deuxième stade, à partir de 2022-2023, deux usines, appelées pour l’occasion « gigafactories », devraient être complètement orientées vers la production de masse de batteries. Elles appartiennent toutes deux au groupe Peugeot-Opel, puisqu’il s’agit de Douvrin, près de Lens, et de Kaiserslautern en Allemagne. La première, inaugurée en 1969, avait été créée par la Française de Mécanique, une filiale conjointe des deux multinationales françaises, Renault et Peugeot, jusqu’en décembre 2013, lorsque l’ancienne régie s’est retirée. La seconde est active depuis 1966 pour approvisionner les unités d’Opel. Jusqu’à présent, les deux entités fabriquaient des moteurs à essence ou diesels.

    Au départ, elles utiliseront une capacité de 8 GWh [77] pour progressivement atteindre une puissance cumulée de 48 GWh sur l’ensemble des deux sites, à l’horizon de 2030. Cela devrait correspondre à la production d’un million de voitures électriques, soit environ 10% du marché estimé pour l’époque [78]. L’ambition est à terme de favoriser l’émergence de 10 à 20 usines géantes pour approvisionner en batteries le marché européen.

    Les concepteurs du projet et les dirigeants de PSA espèrent créer 1500 emplois sur les deux sites dédiés. En revanche, globalement, les postes de travail devraient diminuer parce que le nombre de composants à monter sur la voiture est moins important : « Les véhicules électriques ont moins de pièces mobiles et une durée de vie plus longue et nécessitent moins d’heures de fabrication par véhicule et moins d’entretien et de réparation. Selon le cabinet de conseil AlixPartners, les heures nécessaires pour assembler un moteur à combustion interne s’élèvent à 6,2 par véhicule, ce qui passe à 9,2 heures par véhicule pour les hybrides et diminue à 3,7 heures par voiture avec un moteur électrique [79]. » Les experts de McKinsey prévoient une diminution de quelque 300 000 postes en Europe entre 2018 et 2030 due à l’avènement du véhicule électrique [80].

    Le problème de PSA est qu’il est, par rapport aux enjeux du secteur, trop petit et trop européen. Avec 3,5 millions de véhicules vendus en 2019, dont 3 millions sur le seul vieux continent [81], c’est trop peu par rapport aux concurrents comme Volkswagen, Toyota, General Motors, Ford, Hyundai ou l’Alliance. « Ses volumes sont insuffisants pour amortir les investissements colossaux à effectuer dans la voiture de demain, connectée, électrique et autonome », estime un expert [82]. D’où l’intérêt à la fusion.

    Nouveau soleil, étoile filante ou supernova ?

    En général, lors d’une opération de mariage, les fiancés se jettent des fleurs. « C’est la plus grande fusion de l’histoire automobile. » « Avec notre nouveau partenaire, notre avenir est assuré. » « Maintenant, nous disposons des moyens financiers pour investir dans la mobilité de demain. » « Dorénavant, nous avons les atouts pour peser sur le secteur. »

    La réalité est beaucoup moins rose. Ni PSA, ni FCA ne sont en bonne position. Leur situation financière est délicate. Ces deux groupes subissent des restructurations à répétition pour revenir dans la course.

    Les tableaux suivants reprennent les principales données pour les deux multinationales. Le premier porte sur la situation de PSA.

    Tableau 4. Principaux indicateurs de PSA 2009-2019 (en millions d’euros)

    Le chiffre d’affaires n’est revenu au niveau de 2007 qu’en 2018. Sur les onze années présentées, quatre montrent des pertes nettes. Le montant total des profits accumulés sur la période ne s’élève qu’à 2,3 milliards d’euros, soit sept fois moins que le seul gain de Toyota sur 2019. Il n’y a que quatre exercices durant lesquels les actionnaires ont été rémunérés et il ne s’agit nullement d’une volonté délibérée de la direction. Les sommes allouées à l’investissement et à la recherche ne progressent réellement que sur les deux ou trois derniers bilans. Le niveau de l’emploi est celui de 2006, mais avec l’apport de 38 000 salariés venus d’Opel.

    La situation n’est guère plus rose à FCA, comme l’indique le tableau 5.

    Tableau 5. Principaux indicateurs de FCA 2009-2019 (en millions d’euros)

    Les statistiques sont perverties par la fusion avec Chrysler qui fournit environ 60 milliards d’euros de chiffre d’affaires supplémentaires et, en définitive, environ 80 000 emplois. Le problème est que la prise de contrôle s’est déroulée progressivement. Donc les comptes du constructeur américain sont eux aussi consolidés petit à petit. Néanmoins, on peut voir que les bénéfices ne sont pas mirobolants, se chiffrant au total de ces onze ans à 18 milliards d’euros, soit à peine plus que le profit net de Toyota en 2019 (17 milliards). Le versement des dividendes est faible, pas nettement supérieur à celui de PSA, sauf en 2019. On observe clairement que le rapprochement avec la firme de Detroit a provoqué une hausse nette des dettes à long terme, qu’il a fallu rembourser par la suite. Cela a affecté les sommes consacrées à la recherche.

    La plupart des spécialistes du secteur notent les fragilités de Fiat. Ainsi, Bernard Jullien, maître de conférences à l’université de Bordeaux, note au moment de l’annonce du mariage possible avec Renault [83] : « FCA ne dispose que de deux vaches à lait, Jeep et RAM, tandis que ses autres marques, Dodge, Chrysler, Fiat ou Alfa Romeo, sont en déshérence totale. Tout est à refaire. »

    L’investissement dans les usines italiennes s’est réalisé tardivement. Les estimations, qu’elles émanent de cabinets de conseil et d’analyse ou des organisations syndicales, sont d’accord pour établir le taux d’utilisation des capacités de production de ces dernières à 60%, voire moins [84]. Ce sont des niveaux très faibles, qui normalem


    Source : https://multinationales.org/Stellantis-la-nouvelle-etoile-automobile-qui-palit-deja