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The Camp : crash en vue pour le phare de la startup nation | Blast

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    Une visite comme un rendez-vous manqué… Ce jeudi 26 mars, aux portes de The Camp, il y a un malentendu. Envoyé par Provence promotion, l’agence de développement de la métropole Aix-Marseille Provence, le carton d’invitation promettait de toucher du doigt un « nouveau modèle français » « au cœur d'un espace qui a entamé sa mue pour devenir la Capitale d'affaires française du futur ». Et notamment, au programme de cette visite de presse, une « rencontre à The Camp avec des dirigeants qui ont fait le choix de s'implanter en Provence » pour des « retours d'expérience d'entrepreneurs et de talents qui ont quitté Londres, San Francisco et Paris pour lancer des activités nouvelles à l'échelon international ». Alléchant, forcément. Sauf que... c’était la veille. Loupé.

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    26 mars 2021, Aix-en-Provence, en route pour le futur...

    Ce jour-là, à l’accueil, les agents de sécurité tiquent - plan Vigipirate oblige. Ils finissent par nous laisser entrer respirer l’air du futur. Nous resterons trois heures pour quelques prises de vues, seuls ou presque au milieu d’une sorte de vestige design à la gloire du capital et du numérique. Avec l’impression d’être des touristes perdus devant un de ces monuments de l’ère soviétique figés dans le temps, dans leurs rêves de gloire et leur monumentale mélancolie. Lost in translation...


    26 mars 2021, Aix-en-Provence, à l’entrée du campus
    (Crédits Antoine Dreyfus / Blast)

    Écrire qu’il n’y a personne dans les couloirs est injuste : il n’y a pas de couloirs à The Camp. Tout est en rondeur, en verre, toile et béton. Le genre de lieu qui en met plein la vue. Il y a même une piscine bioclimatique, c’est dire, un terrain de beach volley, une salle de sport, de l’ombre et des plantes.

    L’agence Vezzoni , du nom de l’architecte marseillaise qui a signé le bâtiment, a bien fait les choses. C’est très beau mais vide. Sur une matinée entière, on aura croisé une demi-douzaine de personnes maximum, dont deux consultants (externes), le fils d’un dirigeant et trois employés. Sans oublier - c’est impossible - le portrait dans le hall du fondateur, Frédéric Chevalier, disparu juste avant l’inauguration dans un accident de la route. L’impression est étrange, forcément. Et flippante, pour dire les choses. Surtout quand on a en mémoire les discours prononcés au berceau du projet, annonçant une véritable fourmilière. The Camp était « vendu » comme la Silicon valley française. Un lieu pour inventer, sous le soleil exactement et au son des cigales, la société de demain. Le génie français était de retour, le monde entier allait débarquer. On allait voir ce qu’on allait voir.

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    26 mars 2021, Aix-en-Provence, The Camp : très beau, très vide...

    Pour cet embarquement pour le futur, mis sur orbite en 2017, on se presse autour du berceau. C’est même l’embouteillage. Ils sont tous là, sur la photo et au bas des éléments de communication : entrepreneurs précédés d'une réputation flatteuse, grands groupes, opérateurs nationaux, collectivités, French tech (l’avant-garde de la start-up nation, « cet écosystème qui bouillonne »...), services de l'Etat.

    L’investissement est à la hauteur, également : 85 millions d’euros au total dont 40 pour financer 12 000 m2 de bâtis, avec des partenaires financiers dont plusieurs du CAC 40 (Accor, Air France-KLM, Sodexo, CMA-CGM, Vinci immobilier, Vinci construction, SNCF Gare & connexions, etc.), des banques (Crédit Agricole, Caisse d’Épargne, Caisse des dépôts), des collectivités territoriales, la Chambre de commerce et d’industrie Marseille-Provence et un apport de Frédéric Chevalier – l’homme/icône du hall d’entrée, qui avait fondé (puis vendu) au début de la décennie 90 le groupe de communication HighCo .

    « Le camp de base de ceux qui vont explorer l'avenir »

    Ça devait être la révolution en marche, donc. « The Camp est le camp de base de ceux qui vont explorer l'avenir » entend-on, alors. Jean-Claude Bailly en fut le président éphémère. Des trémolos dans la voix, l’ex-patron de La Poste lançait même : « The Camp est un projet humaniste ! »

    Aujourd’hui, c’est une coquille vide. Un « courant d’air », selon le mot d’un chef d’entreprise marseillais. The Camp, c’est The Crash…

    Vaisseau amiral de la macronie

    Retour en arrière. En juillet 2016, Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, débarque à Aix-en-Provence pour veiller sur la gestation du projet, alors en chantier. Équipé d’un casque de réalité virtuelle, l’ancien banquier d’affaires s’offre un survol du site (virtuel, donc), dont la livraison est attendue pour 2017. Il est déjà venu sur place l’année précédente (en 2015) lancer les grands travaux. Sous le casque, Emmanuel Macron a une vision. Pour lui et pour la France.


    Le 5 juillet 2016, pas encore président de la République mais ministre, Emmanuel Macron vit « l’expérience ». Sous le casque, la startup nation est là ! Tout s’éclaire...
    (Crédits The Camp Fred Bruneau)

    Le patron de Bercy n’est pas encore Jupiter mais les bases de la start-up nation sont déjà là. « Face à un monde de plus en plus destructif, théorise le futur chef de l’État, il faut accélérer, avoir des structures légères pour aller plus loin (…) La France a besoin de femmes et d’hommes qui prennent des risques ». A ses côtés, Frédéric Chevalier boit du petit lait devant ce tableau qui semble dessiner en creux son portrait.

    « Le monde bouge et cela oblige à de profonds changements », lance l’homme d’affaires, au sujet « d’un lieu de formation, d’acculturation, un lieu transdisciplinaire, transculturel et transgénérationnel ». « Les progrès réalisés lors des 20 prochaines années seront plus importants que ceux réalisés pendant des siècles », annonce-t-il, prophétique.

    Également présent, Pierre-René Lemas, patron de la Caisse des dépôts et consignations, bras armé de l’État en matière économique, a compris le message. Tous les deux énarques, le préfet Lemas et Emmanuel Macron se connaissent bien : le second était l’adjoint du premier de 2012 à 2014 au secrétariat général de la présidence de la République, sous Hollande. « Nous investissons car nous sommes sûrs que ce projet sera rentable, assène le directeur général de la Caisse des dépôts, non seulement économiquement mais aussi sur le plan humain, environnemental ». « The Camp marque un véritable succès de la « saison deux » de la French tech », s’emballe le ministre Macron.

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    Macron 1er (de cordée) et les autres, «  dans le design d’une expérience globale »… (vidéos de promotion de The Camp)

    Sur le moment, on ne comprend pas tout : quoi s’agit-il, au juste ? D’imaginer la ville du futur ? D’incuber des start-up ? Développer des produits high tech ? Ou peut-être tout ça à la fois, ou encore autre chose ?... Peu importe. Le milieu économique aixo-marseillais et les élus présents ce jour-là rayonnent. Chacun est en persuadé : il se passe quelque chose. Ceux qui sont là partagent un même sentiment. Un truc grisant, qui vous laisse euphorique : celui d’en être. On se sourit, on parle disruption ou friction, on s’auto-congratule, on trinque à l’avenir – radieux, forcément.

    Opposant historique à Maryse Joissains, maire LR d’Aix-en-Provence depuis deux décennies, Lucien-Alexandre Castronovo se souvient de l’ambiance de l’époque. Cet enthousiasme débordant, il l’a touché du doigt par ricochet lors des séances du conseil territorial : « The Camp ? Tous les élus étaient pour, rappelle ce vieux routier de la politique locale. Frédéric Chevalier était une personnalité reconnue, il s’agissait de développer la métropole en faisant du développement durable. En plus, il y avait la technopole autour, installée depuis 20 ans. Tout cela paraissait cohérent. »

    Habile à sentir les choses, Maryse Joissains ne rate jamais une occasion de répéter combien The Camp va apporter à la Provence. Elle prêche en terrain conquis. Chevalier superstar !

    Un destin fracassé dans un virage

    Le vendredi 21 juillet 2017, dans l’après-midi, Frédéric Chevalier se tue à moto dans l’arrière-pays à 52 ans, sur la route de Cabriès. Le choc. Les hommages tombent de partout pour saluer « l’entrepreneur de génie » et le « visionnaire ». Renaud Muselier, président LR de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (qui a hérité d’un dossier lancé par son prédécesseur, le socialiste Michel Vauzelle), exprime sa « tristesse » comme le porte-parole du gouvernement Christophe Castaner, celle du patron des patrons Pierre Gataz est « très grande », son futur successeur Geoffroy Roux de Bézieux salue un « entrepreneur génial », Jean-Claude Gaudin, le maire LR de Marseille, confie son « immense émotion ». Même Marsactu, poil à gratter de la presse locale, se fend d’un mot pour celui qui, un temps, fut son financeur.

    Cinq jours plus tard, la cathédrale d’Aix est recueillie, pour un dernier adieu. Le souci c’est que le patron « charismatique » que tout le monde pleure a pris, trop vite, un virage connu des motards pour provoquer des sensations fortes. Et qu’il a aussi tué une adolescente, Alexia, presque 15 ans. Carmela et Karim Belaid, ses parents, sont anéantis. Ils vont se battre trois ans dans un sentiment d’abandon pour, enfin, faire reconnaître la non-responsabilité de leur fille dans l’accident. Les assurances ont payé. Le dossier n’a jamais été judiciarisé. Et pas un mot des édiles pour la gamine…


    Frédéric Chevalier, l’inventeur de The Camp, avec Emmanuel Macron, en juillet 2016.
    (Crédits The Camp Rea)

    La vie continue, et les affaires avec. The show must go on. Claironné partout, l’enjeu est trop important. Homme providentiel ou pas, Aix, la Provence et la France auront leur phare. The Camp doit exister. Mais après ce coup de massue, comment rebondir ? Il faut parer au plus urgent. Un président par intérim, Jean-Claude Bailly, l’ex-boss de La Poste, est nommé. Le business reprend doucement. Le 28 septembre 2017, The Camp ouvre enfin. La fête est belle, la fusée est lancée.

    Saison 2, Mounir brosse et dort à The Camp

    A l’Élysée, où Emmanuel Macron s’est installé, on couve toujours le projet de près. En juillet 2018, Mounir Mahjoubi délocalise son cabinet trois jours durant sur place. De quoi montrer qu’il est toujours en pointe, donc là où ça se joue. Jamais en mal d’inspiration, le secrétaire d’État en charge du numérique débarque donc avec sa valise et sa brosse à dents. Derrière, il s’agit de vendre la French tech, l’outil/label piloté par l’État pour faire émerger la start-up nation. La chasse aux (futures) licornes est ouverte. Ça tombe bien, Mahjoubi entend passer la seconde. Reprenant l’injonction jupitérienne, il l’explique à La Provence, qui a dépêché son reporter pour saluer l’évènement : « Pendant 5 ans, la French tech a eu pour but de faire émerger des start-up, on en a plus de 10 000 en France. Maintenant cette nouvelle phase, cette saison 2, c’est passer de l’éclosion à l’envol. »

    Devant la presse locale, le ministre mouille la chemise et donne de lui : Mounir précise qu’il va dormir sur place ; Mounir dans un data center ; Mounir, très pro mais très cool, répond à des étudiants au cours d’une interview « pop-corn » (sic) surréaliste : « On est une équipe de X-Men. Le professeur Xavier pourrait être le président. Il prend les décisions pour gérer le pays et nous menons son projet. »
    Une équipe de... quoi ? De... X-Men ? Sérieusement ?

    « On n’a pas besoin de mots, on veut de l'impact ! »

    Si Mahjoubi reste indépassable, un modèle du genre, ses collègues de l’équipe X-Men embrayent. Les ministres défilent : un jour Muriel Pénicaud, en charge du Travail, pour décrire à l’été 2019 « le côté ruche » et les « fertilisations croisées », nourries de « toutes ces rencontres probables et improbables » qu’elle a immédiatement perçues. Jean-Yves Le Drian, lui, a sa vision. Enfin une variante, exprimée un an et demi plus tôt : lui parlait d’une « fertilisation très stimulante ». On apprécie la nuance. Une autre fois, voilà Jean-Baptiste Lemoyne, son secrétaire d’État aux affaires étrangères, qui vient carrément « montrer la voie aux leaders du G7 à Biarritz », parce qu’il a vu ici « des projets concrets qui ont de l'impact ». Et puis, le même le souligne : « on n’a pas besoin de mots, on veut de l'impact ! »

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    Les ministres défilent (extraits de vidéos institutionnelles The Camp)

    A un tel niveau, on est effectivement à des sommets, on n’a pas besoin non plus d’être à Biarritz. Difficile de faire plus creux. Or plus ça flotte, plus c’est creux, et réciproquement - la règle ne ment jamais. Et puis quand l’homme de la saison 2 Mounir Mahjoubi n’est plus là pour délivrer de fortes pensées, son successeur au numérique vient à son tour éclairer le présent. En juillet 2019, Cédric O explique combien The Camp est une réussite : « On voit que ça marche ! », lance-t-il, engagé dans son « French tech tremplin ». Paroles d’expert, là encore.

    Virtuel vs réel , The match

    Problème, il y a la réalité. Elle est cruelle car les résultats, qui ne se paient de mots, sont catastrophiques. A l’opposé des propos grandiloquents déposés en-veux-tu-en-voilà.

    Retour au réel, donc... Depuis la mort de son fondateur, The Camp ne décolle pas. Agissant comme un révélateur, la crise du Covid l’achève. Le site se vide pendant que d’autres lieux numériques moins ambitieux, à Marseille, fonctionnent.

    En février dernier, à la suite d’une alerte des commissaires aux comptes, les banques et les héritiers Chevalier se retrouvent devant le tribunal de commerce. On est au bord de la rupture. Serge Magdeleine, le DG du Crédit agricole Alpes Provence, prend le dossier en mains. Il pèse au sein de la banque. Il est aussi directeur de la transformation digitale et IT du groupe, et membre du comité exécutif. Le digital, c’est son truc. Il accepte de remettre au pot 2,5 millions d’euros. En tout, avec le PGE (le prêt garanti par l’État mis en place lors de la crise sanitaire), 4 millions d’euros sont réinjectés. Un accord de conciliation est trouvé.


    26 mars 2021, Aix-en-Provence : print the legend !
    (Crédits Antoine Dreyfus / Blast)

    Pendant ce temps, la presse spécialisée fait état des grincements de dents des entreprises partenaires, dont certaines voudraient se désengager. La lettre A [1], par exemple : « Agnès Moutet-Lamy, directrice territoriale Grand Sud-Est de cette filiale de la SNCF chargée de la gestion des gares voyageurs (Gares & Connexions, ndlr) souhaite réduire les investissements, d'autant que la baisse des redevances a été considérable. »

    Des collectivités légères, légères, légères...

    Les collectivités locales et territoriales continuent, elles, à soutenir le projet même si la gêne est palpable dans leurs rangs – le refus systématique opposé aux demandes de réaction est symptomatique de la tension existante autour de ce dossier. Dans la corbeille, la métropole Aix-Marseille-Provence, présidée jusqu’en 2018 par Jean-Claude Gaudin et depuis par la LR Martine Vassal, a mis 10 millions d’euros. Le conseil départemental des Bouches-du-Rhône dirigé par la même Martine Vassal détient une créance de 5 millions. Même somme pour la région Paca. Contrairement à ce que le magazine Challenges assure, la dette n’a pas été annulée. Les 20 millions des collectivités sont toujours à rembourser. Ils devaient commencer à l’être en 2020. Dans les faits, il est question de rogner 10% du total, soit 2 millions d’euros passés par pertes et profits.

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    26 mars 2021, Aix-en-Provence : la ruche est vide, désespérément vide...

    De son côté, la chambre de commerce - qui n’est pas dans le tour de table des collectivités - y est de sa poche pour un million d’euros. « Il y a eu un décalage du remboursement, précise à Blast Philippe Blanquefort, directeur général de la CCI métropolitaine Aix-Marseille-Provence. Compte tenu du contexte, nous avons décidé de le décaler en 2023 ». Il sera progressif : « 20 000 euros en 2023, 80 000 euros en 2024, et ainsi de suite », détaille le même Philippe Blanquefort. A condition que l’avenir ne ressemble pas au présent, et que The Camp décolle enfin.

    A la chambre de commerce toujours - où Frédéric Chevalier s’était un temps investi, pilotant un club de patrons baptisé le Top 20 -, on veut encore et toujours croire à la réussite. Philippe Blanquefort, à nouveau : « Le tribunal de commerce a validé le plan de redressement, nous n’avons pas à nous prononcer sur ce protocole, ce n’est pas notre rôle. Mais dès le départ nous avons cru à ce projet. Oui, The Camp a des difficultés financières et de gouvernance mais nous sommes très bienveillants à son égard car c’est un projet essentiel pour le développement de nos territoires. »

    Faire semblant de croire...

    Dans le plan publiquement vendu, la société d’exploitation envisageait bien de commencer à rendre l’avance consentie à partir de la 3ème année d’exercice, censée être celle de l’équilibre. C’est ce qui était promis par les promoteurs de The Camp, encore en 2019, alors que le déficit est déjà profond. Dans les faits, ceux qui ont annoncé ce timing, comme ceux qui ont voulu y croire, ont fait preuve d’un bel élan d’optimisme. On a fait semblant de croire possible quelque chose – un mirage - qui ne l’était pas. Quand on sait que les collectivités n’ont pas le droit de consentir des avances remboursables sur plus de 5 ans, on peut s’interroger : a-t-on en toute connaissance de cause survendu des délais... qu’on savait impossible à tenir ?

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    En mai 2019, Olivier Mathiot, le président de The Camp, affiche son optimisme au micro de MProvence TV. La réussite à portée de doigt...

    Un bon connaisseur du dossier le confie à Blast, sous couvert d’anonymat : « C’est un montage inacceptable : atteindre l’équilibre en 3 ans était impossible, par conséquent ils auraient dû garantir les avances et l’activité sur le foncier. Le vrai problème c’est celui-là : avoir mis les collectivités uniquement sur la société d’exploitation et pas sur l’immobilier ». Dans le montage du projet, les deux sont en effet séparés : d’un côté l’exploitation (la SAS The Camp), de l’autre l’immobilier et le foncier (The Camp i).

    Alors que la première, aujourd’hui placée sous assistance respiratoire, prend l’eau, la deuxième se porte nettement mieux : la SAS The Camp affichait 22 millions d’euros de déficit cumulé à la fin de l’exercice 2019 (le dernier déposé) ; quand à The Camp i, si la société a plus de 20 millions d’emprunts à rembourser au Crédit Agricole et à la Caisse d’Epargne, la valeur vénale du site est estimée, après expertise, entre 25,1 et 30,4 millions d’euros… L’argent public est donc arrivé sur la première. Il a permis en particulier de payer les loyers : 2,25 millions d’euros par an versés à la SCI The Camp i - dans les dernières et récentes négociations, ce montant aurait été revu à la baisse.

    Si on résume, le contribuable a été mis à contribution pour soutenir une activité bancale sur laquelle de nombreuses questions pouvaient se poser dès le départ, pendant que les collectivités étaient tenues à l’écart de la seconde entité, sur laquelle la véritable valeur était agrégée…


    Un site... endormi (photo promotionnelle The Camp)
    (Crédits The camp / Géraldine Aresteanu)

    Cette dichotomie exploitation/immobilier a d’ailleurs été au cœur du bras de fer livré en coulisses ces dernières semaines, entre les banques, qui espéraient solder définitivement l’activité pour se payer sur la bête, et les collectivités pieds et poings liés, qui ont tout fait pour empêcher ce plan de se réaliser. Finalement, tout le monde a conclu qu’il était urgent d’attendre. Inenvisageable en effet, alors que les discours triomphants résonnent encore dans la pinède, d’annoncer que le projet annonciateur du monde de demain s’était déjà crashé, que l’incarnation de la startup nation était un cuisant échec et que des millions d’euros d’argent public avaient été brûlés sans garantie en aussi peu de temps - pour une ode à l’initiative privée...

    « The Camp est quasiment mort avec Chevalier »

    Frédéric Chevalier disparu en 2017, The Camp avait perdu son père fondateur, avec ses qualités, ses défauts, son énergie, sa vision. Le projet était fou mais au moins il était incarné. Le voilà orphelin. « The Camp est quasiment mort avec Chevalier, estime un chef d’entreprise en vue, peu amène avec ceux qui ont suivi. Il faut que quelqu’un le reprenne et l’incarne à son tour. » D’après nos informations, une offre de reprise a été faite récemment, mais elle a été refusée.

    Depuis 2017, les successeurs ont géré l’après Chevalier. Il y a d’abord eu, nous l’avons vu, Jean-Paul Bailly. Président par intérim, l’ancien patron de la RATP (1994-2002) puis de La Poste (2002-2013), centriste, polytechnicien et habitué aux grands groupes, a réussi à attirer d’autres mastodontes du CAC 40, la SNCF et il a sauvé les meubles. Venu du digital, Olivier Mathiot l’a remplacé en mai 2018, en tant que président non exécutif.

    « D’entrée, ça part mal, note un patron du cru. Non exécutif, ça veut dire quoi ? Il ne... prend pas de décisions ? » Cousin de Pierre Kosciusko-Morizet, ce diplômé d’HEC a été le directeur marketing de Priceminister. « Président de Rakuten France, il est un entrepreneur reconnu et engagé dans le développement de l’économie collaborative et l’essor global du secteur du numérique qui participe positivement à la création du monde de demain ! », précise une notice biographique de The Camp.

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    26 mars 2021, Aix-en-Provence, lost in translation...

    « La création du monde de demain » ? Visiblement, ce n’est pas une évidence pour tout le monde. Plusieurs sources nous l’ont affirmé : les relations entre le directeur général Patrice Ceccaldi et Olivier Mathiot ne sont pas bonnes. Arrivé en 2019, le premier a coupé dans les salaires, jugés trop nombreux et élevés. Le nombre de salariés est ainsi passé de 67 en 2018 à 53 en 2021.

    Pour autant, les documents comptables que nous nous sommes procurés témoignent d’un certain embonpoint. La masse salariale pèse 3,748 millions d’euros (cotisations sociales comprises) en 2017. En 2019, elle grimpe à 4,770 millions d’euros. En 2016, le salaire du président de The Camp - il s’appelle alors Frédéric Chevalier - s’élève à 420 000 euros net (35 000 euros net mensuels). Il n’est plus « que » de 287 281 euros net (23 940 euros nets mensuels) en 2017. Et il baisse encore de 63 % en 2018 pour se fixer à 105 000 euros net (8 750 euros net, tout de même), avec l’arrivée d’Olivier Mathiot. Ce qui reste confortable pour un « non exécutif » dans une boîte aux résultats catastrophiques et sous perfusion d’argent public. D’autant que certains reprochent mezza voce à l’ex-président de France Digitale de ne pas avoir su attirer les investisseurs qu’il devait faire venir.

    Décrochage

    Curieusement, les mentions relatives à la rémunération de la présidence n’apparaissent plus dans les comptes déposés pour l’exercice 2019. Olivier Mathiot l’exerce au titre de Math invest, sa société... spécialisée dans la production de films pour le cinéma, à qui elle a été confiée. Interrogé par Blast, il explique qu’elle n’est plus que de « 60 000 euros annuels » « depuis 2019 ». Parce « [qu’]il s’agit d’accompagner les efforts de chacun », complète-t-il. Il nous a aussi assuré ne toucher aucune autre rémunération en lien avec The Camp – par exemple au titre d’une activité de consultant.

    Si aucun document officiel ne permet de le vérifier (The Camp n’ayant pas publié ses comptes en 2020), la façon dont la rémunération du président s’est effondrée depuis 2016 témoigne a minima d’un décrochage inquiétant.


    Extrait des comptes 2017 et 2018 de la SAS The Camp:à la ligne 622000, le montant de la rémunération du président. En 2019, cette ligne dédiée a disparu...

    La vie de The Camp prolongée après le jugement de conciliation du 16 février (tribunal de commerce d’Aix) – qui acte pour mémoire la poursuite de l’activité de la société d’exploitation -, une nouvelle page peut-elle s’écrire ? Le projet va-t-il enfin décoller pour flotter au même niveau que les discours qui ont présidé à sa naissance ?

    Futur incertain

    En off, beaucoup de proches du dossier confient leur pessimisme, laissant entendre qu’on n’a fait que repousser l’échéance. Malgré tout, si ces belles promesses ont une chance un jour de se réaliser, ce pourrait être sans Olivier Mathiot. L’auteur de « 40 Nuances de Next » (une série de podcast sur les champions de la tech française) est donné partant en mai. Franchement pas mécontent de lui, l’actuel président du truc du futur dément à Blast un éventuel départ : « Je ne sais pas d’où viennent ces rumeurs. Je n’ai pas besoin de partir pour l’instant car c’est justement une présidence non exécutive, qui ne demande pas la même implication qu’une direction générale opérationnelle, qui elle est assurée par Patrice Ceccaldi. »

    L’intéressé vient pourtant d’être recruté comme directeur général de 2050, un nouveau fond d’investissement aux ambitions affichées. Une nouvelle étape sur un parcours en marche vers le futur, à la vitesse de la lumière. A cette vive allure pas sûr qu’Olivier Mathiot ait le temps d’apercevoir, de tout là-haut, le crash annoncé. Quelque part, sur terre, en Provence.

    Au milieu de la garrigue. Là où dort aujourd’hui un mirage.


    Source : https://www.blast-info.fr/articles/2021/the-camp-crash-en-vue-pour-le-phare-de-la-startup-nation--sRduOExR1K99TSF0VOc_Q