des médias suisses sous pression
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À un mois d’intervalle, deux rédactions de Suisse romande ont reçu la visite de groupes en colère. Mi-mars, un collectif d’activistes transgenres s’est invité dans les locaux du Temps, à Lausanne. Motif : la publication, quelques jours plus tôt, sur le site du quotidien helvétique francophone de référence, d’une vidéo dans laquelle la comédienne et humoriste Claude-Inga Barbey interroge, s’en moquant un peu, l’idéologie et le vocabulaire transgenres. Elle y interprète deux personnages : une femme en pleine affirmation de sa nouvelle identité face à une psy dépassée par la situation. Tollé dans les groupes LGBT, qui accusent l’humoriste et son partenaire Le Temps de faire peu de cas de la souffrance de personnes trans. D’où la visite domiciliaire subséquente.
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La semaine dernière, c’est au tour du quotidien régional La Liberté, édité à Fribourg, de faire les frais d’un courroux, après la parution d’une lettre peu inspirée dans le courrier des lecteurs. Un certain Paul C. y dit son émoi face aux « jeunes filles en fleur » qualifiées de « nymphettes » vêtues de tenues dont elles ne peuvent selon lui ignorer le côté « provocant ». Plusieurs personnes se sont elles aussi invitées dans les locaux du journal.
Le rédac chef recule devant la pression
Machine arrière du rédacteur en chef, Serge Gumy, qui admet le contenu déplacé de la lettre et dit ses « regrets » de l’avoir publiée. Des « regrets » jugés insuffisants. Les activistes féministes, qui invoquent la « culture du viol », exigent des excuses. Deux voitures de la rédaction sont par ailleurs taguées : « Collabo du viol », « violeur »… L’action est revendiquée par un groupe au parfum anarchiste se faisant appeler « La Volte rose, verte et noire ». Le rédacteur en chef présente finalement des excuses, mais rappelle dans un éditorial le risque mortel pour la presse de l’autocensure face aux intimidations. La liberté, ce beau nom porté par le quotidien fribourgeois, doit toujours l’emporter.
Un mois plus tôt, après l’intrusion d’un collectif transgenre dans les locaux du Temps, sa rédactrice en chef Madeleine von Holzen, avait dit elle aussi son attachement à la liberté d’expression. Sauf que là, elle avait à batailler au sein même de sa rédaction, divisée, comme Le Monde ou Libération en France, entre wokes et boomers, entre jeunes et vieux pour aller vite, les premiers faisant preuve d’un certain puritanisme adossé à la défense des « minorités », chose que leur reprochent les seconds, porteurs d’idées libertaires.
Fracture générationnelle au sein des rédactions
Ce jeune journaliste au Temps, qu’on peut ranger dans le camp woke (qui veut dire « vigilant face à toute forme d’injustice »), confirme l’existence d’une fracture générationnelle dans la rédaction : « Je la retrouve avec mes parents qui s’étonnent que ma génération soit celle qui, disent-ils, veuille introduire à nouveau des interdits. » L’époque change, aux anciens de s’adapter, fait comprendre le journaliste du Temps, citant en exemple ces chorégraphies de rues de féministes chiliennes qui se sont répandues partout en Occident. Avec l’arrivée de Madeleine von Holzen aux commandes du Temps à la fin de l’année dernière, le quotidien, économiquement à droite, sociétalement à gauche, a pris ses distances avec une forme de jeunisme imprimé par l’ancienne équipe dirigeante.
Le Temps qui, depuis le 16 avril, a les projecteurs en partie braqués sur lui. Le 31 octobre, peu avant l’entrée en fonction de Madeleine von Holzen, le quotidien publiait une enquête sur des allégations de harcèlement au sein de la télévision suisse romande (RTS) et dévoilait au passage des pans entiers, supposés problématiques, même si légaux, de la vie privée de Darius Rochebin, l’ex-présentateur vedette du JT de la RTS, retiré de l’antenne de son employeur français LCI suite aux « révélations » du quotidien suisse. Il se trouve qu’après six mois d’enquête interne, Darius Rochebin est « blanchi ». Il n’a rien à se reprocher pénalement, selon cette investigation de nature administrative. Le journaliste suisse, qui poursuit Le Temps pour diffamation, réintégrera l’antenne de LCI ce lundi 26 avril et laissera à ses avocats le soin de régler une affaire où l’intimité d’un individu aura été exposée manifestement sans raisons impérieuses.
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Source : https://www.marianne.net/monde/europe/wokisme-et-intimidations-des-medias-suisses-sous-pression?utm_medium=Social&utm_source=Facebook&Echobox=1619103855#xtor=CS2-4