«Zéro covid» contre «stop and go»: une étude dresse un bilan comparatif sans appel
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Vivre avec le virus, ou bien lui déclarer la guerre? Ces deux stratégies sanitaires ont coexisté depuis le début de la pandémie. Pour quels résultats? Une équipe européenne d’économistes, de sociologues et de spécialistes de santé publique a examiné la question.
Ses conclusions, qui paraissent ce 29 avril sous forme de commentaire dans la revue The Lancet, sont sans appel: les pays qui ont appliqué la tolérance zéro face au coronavirus s’en sont beaucoup mieux sortis que ceux qui ont pratiqué le «stop and go», à l’image de la Suisse, la France ou l’Allemagne.
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Les scientifiques ont examiné la gestion de la pandémie lors des 12 premiers mois au niveau mondial, et comparé plus en détail les 37 pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), majoritairement constituée de pays développés. Ils ont en particulier analysé les décès imputés au Covid-19, la croissance du PIB et la dureté des mesures sanitaires, et vérifié si des différences notables existaient selon les deux types de stratégie, mitigation ou élimination.
La mitigation est la stratégie du «vivre avec» qui s’est imposée dans la majorité des pays occidentaux. Elle repose sur un relatif laisser-faire et n’impose de mesures fortes que lorsque les systèmes hospitaliers sont menacés de saturation.
On a souvent entendu que la gestion de la pandémie était une affaire de compromis entre la santé et l’économie. Nos résultats montrent le contraire
Miquel Oliu-Barton, Université Paris-Dauphine
L’autre voie, l’élimination, parfois appelée stratégie du «zéro covid», consiste en des mesures fortes (fermetures, quarantaines obligatoires, etc.) qui, prises précocement, font s’effondrer la circulation virale à de très faibles niveaux. Une fois ce stade atteint, la vie reprend presque normalement, mais des mesures de lockdown, le plus souvent ponctuelles et au niveau local, sont mises en place à la moindre réapparition du virus. Des contrôles aux frontières sont pratiqués, de même que le contact tracing – ce qui est rendu plus aisé par le faible nombre de cas.
De meilleures performances économiques
Au niveau médical, les pays ayant opté pour une telle stratégie (Australie, Nouvelle-Zélande, Japon, Corée du Sud et Islande) ont observé une mortalité par million d’habitants 25 fois inférieure aux autres. Le lien de cause à effet n’est cependant pas établi, mais l’association est significative.
«On a souvent entendu que la gestion de la pandémie était une affaire de compromis entre la santé et l’économie. Nos résultats montrent le contraire», déclare Miquel Oliu-Barton, de l’Université Paris-Dauphine. La comparaison est même «accablante», d’après le communiqué publié par son équipe. Les pays du club «élimination» «ont connu une meilleure performance économique presque à chaque période [la croissance du PIB a été prise en compte semaine après semaine]. Cela leur a permis de retrouver un niveau de croissance pré-covid, soit en moyenne 10 points au-dessus des autres pays.» Le PIB a par exemple reculé en Suisse de 3% en 2020, tandis que celui de Taïwan (non inclus dans l’étude), qui a appliqué une stricte politique d’élimination du virus, a progressé de 3% sur cette période. Les mesures fortes entraînent initialement une baisse du PIB, qui est compensée sur le long terme, détaille Miquel Oliu-Barton.
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Coauteur de l’étude, l’économiste Philippe Aghion de la London School of Economics, estime que «la stratégie stop and go est préjudiciable à la croissance économique car elle empêche les entreprises de planifier à long terme. Au lieu d’investir dans l’innovation, ils épargnent pour faire face au prochain confinement et privilégient des embauches en contrats de courte durée.»
Le «stop and go» serait plus liberticide
Autre signataire de l’article, Ilona Kickbusch, spécialiste en santé globale de l’Institut de hautes études internationales et du développement, à Genève, ajoute: «Les pays qui ont opté pour l’élimination ont fondé leur stratégie sur un objectif commun et de solidarité. D’autres devraient prendre cet apprentissage, montrer une action décisive et mettre de côté les arguments polarisés et non scientifiques afin de regagner le soutien de la population.»
Parmi les arguments en faveur des stratégies de mitigation figure celui des libertés individuelles, sacrées en Occident et dont le bâillonnement serait incompatible avec des mesures strictes propres au «zéro covid». Ce point est également balayé par la présente étude. En se penchant sur l’Oxford Stringency Index, une valeur permettant d’évaluer la dureté des mesures sanitaires, les auteurs estiment que c’est justement dans les pays du «vivre avec» que les libertés ont été le plus bafouées. Les mesures strictes liées au «zéro covid», plus ponctuelles et plus locales, ont été jugées moins liberticides, d’après ces estimations.
Appel à une coordination internationale pour éliminer le SARS-CoV-2
Voilà pour le bilan. Mais avec des vaccins à l’horizon, est-il judicieux de changer de cap? Les stratégies d’élimination gardent toute leur pertinence, assure Miquel Oliu-Barton: «Le coronavirus ne sera pas éradiqué dans les trois mois. L’histoire rappelle que les éradications prennent toujours plus longtemps que prévu. Le coronavirus continuera hélas probablement à circuler pendant une longue période car tout le monde ne sera pas vacciné, ou alors pas forcément immunisé malgré une vaccination, ou encore parce que des variants échappant à l’immunité pourraient émerger», prédit-il.
La mise en place d’une stratégie d’élimination ne serait pas une sinécure, mais elle ne serait pas insurmontable non plus. Elle reposerait notamment sur un découpage géographique de l’Europe en grandes régions selon la prévalence virale, avec des contrôles aux frontières entre celles-ci. «Les pays qui ont opté pour l’élimination ont agi rapidement et localement pour contrôler les résurgences du virus. Ils ont pu ainsi créer et protéger des «zones vertes» où le virus est maîtrisé et où la vie peut revenir à la normale – reprise des activités sociales et des voyages en toute sécurité. C’est pourquoi nous renouvelons notre appel à une coordination internationale avec pour objectif l’élimination du Covid-19», détaille Miquel Oliu-Barton dans le communiqué. «C’est le moment idéal pour le faire, a-t-il ajouté lors d’un entretien. Mais c’est une décision qui revient aux politiques.»
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Source : https://www.letemps.ch/sciences/zero-covid-contre-stop-and-go-une-etude-dresse-un-bilan-comparatif-appel?utm_source=facebook&utm_medium=social&utm_campaign=article_traffic