Son succès, c’est leur échec. Il « ringardise le gouvernement » ou « incarne le service public de demain », les commentateurs ne tarissent pas d’éloges sur Guillaume Rozier, 25 ans. Ingénieur tout juste diplômé, habile avec les bases de données, il crée depuis mars 2020 des outils pour informer les Français sur l’épidémie, et dorénavant les aider à trouver un créneau de vaccination. Ses innovations bénévoles, en « open source » (le code du logiciel est accessible à tous, N.D.L.R.) et d’intérêt public révèlent aussi l’incapacité de l’État à concevoir rapidement des outils utiles aux Français. Retour en trois épisodes sur cette démonstration de l’incompétence étatique applaudie des deux mains par l’exécutif.
Mars 2020 : des visuels fiables et actualisés
Mi-mars 2020, sur son compte Twitter, Guillaume Rozier, un jeune ingénieur en dernière année d’étude, commence à publier des graphiques très clairs, montrant comme la courbe épidémique française suit avec quelques jours de retard la courbe italienne. Ses informations fiables, bien présentées et régulièrement mises à jour sont rapidement suivies par de nombreux internautes. Sur un site qu’il croit éphémère, Covid Tracker, il commence en avril à présenter plusieurs courbes et indicateurs actualisés quotidiennement. Le succès est grandissant.
Update avec les données du 12 mars
La France toujours dans les pas de l’Italie #Covid19#France#Italy#Italiepic.twitter.com/KwbgYvuwnO
— GRZ (@GuillaumeRozier) March 13, 2020
Plongés dans le premier confinement, les Français ont soif d’informations fiables et bien présentées. Les approximations de la communication gouvernementale les agacent déjà. Les outils étatiques comme le site de Santé Publique France et la plateforme Geodes ne sont exploitables que par des initiés. Guillaume Rozier qui y récupère les données disponibles en « open data », les met en forme de manière bien plus claire et précise. Son site devient une référence pour les journalistes et attire plusieurs millions d’internautes chaque mois.
Humble et timide, Guillaume Rozier répète partout qu’il n’est pas spécialiste des questions de santé. Il sait ordonner et présenter des chiffres, mais prend volontiers les conseils de l'épidémiologiste Catherine Hill, rencontrée sur un plateau, pour présenter des indicateurs les plus justes possibles. Quelques geeks lui donnent un coup de main pour développer le site, qui intègre chaque semaine de nouvelles fonctionnalités. Covid Tracker fait un carton, et montre que quelques bénévoles sont capables d’accomplir ce qu'un État échoue à faire : présenter honnêtement et clairement la situation épidémique aux Français.
Décembre 2020 : les chiffres de la vaccination
En décembre, alors que la campagne de vaccination démarre laborieusement, Guillaume Rozier veut proposer un outil de suivi des injections. Problème : aucune donnée n’est publiée par le ministère de la Santé. Après quelques jours à galérer en recueillant les infos sur les personnes âgées vaccinées dans les Ehpad via la presse locale, il reçoit un coup de fil d’un certain Olivier Véran, qui lui propose de lui transmettre tous les jours les chiffres… que le ministère ne publie pas.
Félicité par le ministre de la Santé puis par Emmanuel Macron, pour lequel il ne cachait pas ses affinités en 2017, Guillaume Rozier accepte et publie pendant quelques jours des données auxquelles personne d’autre n’a accès. Face au tollé que suscite ce recours à un simple bénévole pour divulguer des informations d’utilité publique, le jeune ingénieur se ravise et annonce le 11 janvier qu’il ne publiera plus ces données tant qu’elles ne seront pas diffusées publiquement. Ce partisan de l’ « open data » fait des erreurs mais apprend vite. Ridiculisé par un garçon diplômé six mois plus tôt, le gouvernement se plie à sa demande et se met à publier les données de vaccination.
Avril 2021 : des prises de rendez-vous rapides pour la vaccination
Début avril, Guillaume Rozier et son équipe de bénévoles ont pris une autre dimension, en créant « Vite ma dose ». Ce nouvel outil regroupe tous les créneaux de vaccination disponibles sur les plateformes KelDoc, Doctolib, Maiia, Ordoclic… Il permet à des milliers de Français de trouver une dose de vaccin. Ou quand un outil bénévole permet à un État d’accélérer une campagne de vaccination à la traîne.
« Vite ma dose » devient si incontournable que le 6 mai lorsqu’Emmanuel Macron annonce que les 18 à 49 ans pourront trouver des créneaux de vaccination la veille pour le lendemain dès le 12 mai, il renvoie vers le site de Guillaume Rozier. Qui, en bon serviteur de l’État, adaptera sans broncher son outil pour inclure cette fonctionnalité. Et tant pis s’il n’a pas été contacté avant…
Aucun créneau ne doit être perdu.
À partir du 12 mai, les rendez-vous qui n’auront pas trouvé preneur 24 heures avant seront ouverts à tous les adultes volontaires, sans condition.https://t.co/H6mJCiN6iG
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) May 6, 2021
Guillaume Rozier est ainsi, il comble les lacunes de l’État depuis un an et demi sans rien demander en retour. Sommet de candeur, il félicite « les élus » et « l’Union européenne » lorsque lui-même se fait vacciner. En oubliant au passage que si la campagne vaccinale a démarré tardivement en France, c’est parce que l’UE a tardé à négocier des doses que le Royaume Uni raflait sans tergiverser.
Guillaume Rozier et les bénévoles qui l’aident à concevoir les outils oeuvrent pour l’utilité publique. Au-delà des éloges médiatiques et de la légion d’honneur que des députés aimeraient qu’il reçoive, c’est peut-être un travail au ministère de la Santé qu’il aurait été judicieux d’offrir à Guillaume Rozier. Il y aurait été plus utile qu'une flopée de conseillers de McKinsey. Mais c’est trop tard : le succès de ses outils lui a permis de signer un joli CDI, le voici parti dans le privé. Et l’État, lui, continuera de s’écrouler.
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