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Benjamin Sire : Laurent Bouvet, les victoires dans la mort

     

    Catégories: France, Culture

    Il est rare que la mort représente une victoire, plus rare encore qu'elle en représente plusieurs. Il y a pourtant un peu de ça avec Laurent Bouvet, qui vient de nous quitter après un combat contre la maladie allant tellement au-delà de l'exemplarité, que cette mort en devient avant tout une leçon de vie. Pourtant, pour moi, comme pour tous ses amis, qui l'avons accompagnés de longue date et de plus ou moins près depuis plus de deux ans que le mal s'était insinué en lui, écrire ces mots a quelque chose de surréaliste tant notre longue préparation à la nouvelle, fruit de sa délicatesse infinie, ne peut rien face à l'émotion qui submerge malgré tout et laisse désarmé face au clavier. Et pourtant que de précautions a-t-il pris pour que notre peine soit des plus contenues. 

    Raté mon ami, mais tout ce que tu étais est dans ce que j'énonce maintenant, en employant, hélas, la troisième personne du singulier, ce passé simple et cet imparfait qui me sont inimaginables à ton propos. 

    Depuis ce jour du printemps 2019 où, lors d'un week-end de travail dans l'Yonne, il me fit part des étranges sensations qui parcouraient ses membres et dont il se demandait si elles ne l'aideraient pas à comprendre ma propre douleur... Depuis ce texto envoyé, une fois l'été passé, où il m'annonça, ainsi qu'à une poignée d'amis, que le diagnostic n'était pas risible, révélant la terrifiante maladie de Charcot... Depuis chaque nouvel épisode de ce drame, sa seule préoccupation aura été de moquer l'idée même de la plainte et de nous rassurer sans cesse, jusqu'à son dernier rire, quant à sa sérénité, à sa joie de nous avoir réuni, à sa volonté de ne pas nous savoir triste, comme si nous étions les malades et lui le bien portant. Mais triste, je le suis quand même, infiniment, nous le sommes quand même.  




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    J'aimais déjà cet homme de toute mon âme avant que le sort ne le désigne au supplice de l'enfermement progressif, puis total, dans un corps que l'esprit ne savait quitter. Depuis la maladie, cet amour se double d'une admiration tournant à la dévotion, alors même qu'aucune chapelle, aucune église, aucune fausse gloire ne m'a jamais fait plier le genou. Tandis que dans l'âge identitaire que nous traversons, chacun s'envisage un motif réel ou imaginaire pour s'offrir à la mode de la victimisation, que d'aucuns se plaignent à qui mieux-mieux des micros agressions subies dans la moindre confrontation avec le monde extérieur, que les fragiles voient dans chaque mot écrit en réseaux ou prononcé la preuve d'une insupportable offense, par ailleurs retournée en occasion de censure et d'instauration d'un totalitarisme à bas bruit, Laurent, inflexible d'humanité, a porté comme un totem d'élégance suprême la devise "never explain, never complain"... Ayant vécu avec panache, il a ajouté à sa mort la classe la plus absolue. C'est sa première victoire. 

    Nique à l'arbitraire

    La seconde aura été d'avoir choisi le moment, aussi douloureuse pour ses proches ait pu être cette décision. Mais pour celui qui n'avait pas de Dieu, mais quelques maîtres, cette latitude de faire la nique à l'arbitraire de la nature, entouré des siens, est un ultime témoignage de cette ironie combative qui lui valut tant de mauvais ennemis... Puisque nous savions ce que seraient les choses, il eut même l'ultime prévenance de nous en faire part avec un peu d'avance, pour nous laisser le temps d'envisager. Respect, l'ami. Même si ce mot est d'une insigne faiblesse pour exprimer ce que je pense vraiment. Il est dommage que, par essence, les combattants de la laïcité et de la République, dont il fut le plus parfait officier, fussent-ils croyants, n'aient pas les moyens de prononcer de quelconques canonisations, parce que j'ai du mal à refuser l'analogie entre la manière dont l'homme dont je parle a affronté la bataille finale avec l'idée que l'on se ferait d'un saint. Certains se moqueront sans doute de l'aspect excessif de mes mots, mais de ce côté de l'écran d'où je parle, j'ai quelques raisons de ne pas les envisager ainsi. 

    Et c'est une autre victoire de Laurent. Celle ayant consisté, dans l'adversité si parcimonieuse en nobles caractères que représentent les combats d'idées et politiques, d'avoir su fédérer autour de lui, un cercle d'hommes et de femmes qui, non contents de célébrer un profond accord intellectuel (aux antipodes de la caricature que nos contempteurs en font), se sont retrouvés embarqués dans la plus intense et valable des aventures humaines, celle de l'amitié. Que l'on demande à tous ses plus proches compagnons de route, à celles et ceux qui ont participé à la création du Printemps républicain, quelle est la si étrange particularité de ce mouvement par rapport à tous les autres que nous avons fréquentés tout au long de nos parcours respectifs. Tous vous répondront la même chose. L'amitié, réelle, si désintéressée qu'elle vaut à nombreux de nos camarades d'avoir dépassé les limites acceptables du bénévolat, si sincère qu'elle vit bien souvent le combat politique être freiné par la préoccupation aux soucis personnels des uns et des autres, si empreinte de cet humour qui fut souvent reproché à Laurent, que de nos réunions, en dépit d'un travail souvent acharné pour faire émerger nos idées, restent avant tout ancrées dans ma mémoire pour les éclats de rire qui n'ont cessé de les ponctuer, tout autant qu'ils furent l'essentiel de ces dîners que nous avons organisé autour de Laurent, dans la période où la maladie et la pandémie de Covid les rendaient encore possibles. L'amitié, donc, une victoire de plus, qui sera encore plus retentissante si nous arrivons à la faire perdurer au-delà de la disparition d'un homme qui fut le ciment de nos convictions, mais aussi de la jonction de nos âmes. 

    Une oeuvre hélas prémonitoire

    La dernière victoire de Laurent, enfin, est la plus éclatante et la plus déprimante. C'est celle de son oeuvre, prémonitoire, éclairante, mais ne voisinant pas avec un optimisme béat. Même si je laisse à d'autres bien plus compétents que moi, ici et ailleurs, la tâche de commenter ses idées et ses livres, j'ai hélas le sentiment qu'ils ont décrit par le menu ce que sont déjà les enjeux de la campagne pour l'élection présidentielle et ce que sera le scrutin lui-même. À l'écriture de ces mots, j'entends déjà l'exploitation malhonnête que pourraient en faire nos adversaires et ceux qui ont poursuivi Laurent de leur haine. "Vous dites victoire de ses idées ? Victoire de la droite et de l'extrême droite qui, quel que soit le résultat de l'élection, pèse plus de 60% de l'électorat. Victoire des fachos et de l'islamophobie que vous portez !" Alors je reformule, balayant cette arnaque de l'islamophobie, alors que nous avons toujours combattu toutes formes de racisme et de discriminations, notamment à l'égard des femmes et des LGBT, mais aussi des musulmans qui sont justement la cible des islamistes et de leurs alliés, partout dans le monde, jamais jugés assez purs pour les rétrogrades haineux qui pervertissent leur religion. Non, ce n'est effectivement pas une victoire pour tous. C'est celle des principaux constats que fit Laurent durant les dix dernières années, et la défaite de ceux, principalement à gauche, qui, ne voulant pas regarder le réel en face, se sont bouché les oreilles à son énoncé, jusqu'à voir l'extrême-droite (et cette partie de la droite qui lui coure après) le préempter pour lui associer ses solutions aussi nauséabondes qu'inefficaces, dangereuses et sans avenir - elle qui ne regarde que le passé...  

    De quoi s'agit-il? La première intuition bouvetiste de la sortie de route de la gauche se confia début 2012 dans, Le sens du peuple, écrit en réaction à la fameuse note Terra Nova de 2011, entérinant l'abandon des classes populaires par la nébuleuse socialiste au profit d'un peuple de substitution. Comme l'écrivait Laurent pour présenter l'ouvrage : "Retrouver les sens du peuple est à la fois une nécessité électorale et un impératif moral pour la gauche". Cette dernière a balayé tout à la fois la nécessité et l'impératif et se retrouve marginalisée à un point qui ne provoque rien d'autre qu'une infinie tristesse. Vint ensuite L'insécurité culturelle, parue en 2015, ce constat que le facteur économique ne pouvait à lui seul expliquer les dérives populistes, mais qu'il fallait y ajouter les inquiétudes identitaires et culturelles pour apporter des solutions à nos concitoyens. Tandis que, par flemme, la gauche - qui a beaucoup commenté les livres de Laurent, mais ne les a que très rarement lus - vouait aux gémonies ce simple énoncé pour en faire un concept raciste, voire islamophobe, alors qu'il n'est même pas un concept et prend également en compte l'insécurité culturelle ressentie par nos compatriotes musulmans, une partie de la dédicace que me fit Laurent de son livre donne les clefs : "L'insécurité culturelle, mieux la combattre, c'est d'abord mieux la connaître". Et mieux la connaître, c'est accepter d'analyser le rôle de la mondialisation dans les paniques morales qui saisissent ceux de nos compatriotes qui n'en tirent pas profit, d'observer le déclassement subi par les zones rurales et le péri-urbain, de plonger dans les revendications de cette France si bien décrites par Jérôme Fourquet, Jean-Laurent Cassely, ou Denis Maillard et avant eux, par moments, par Christophe Guilluy, de mesurer le poids d'un entrisme islamiste qui pervertit l'islam et, profitant de l'offensive identitaire de la gauche américaine, provoque une balkanisation des êtres et des revendications cultuelles dont se saisissent désormais également certains chrétiens. C'est comprendre le poids de l'individualisme propre à la société numérique dans la destruction du commun et toutes ces sortes de choses. Enfin s'ajoutèrent en 2019 et 2020, La nouvelle question laïque et Le péril identitaire, qui analysaient à la fois le garde-fou, attaqué de toutes parts, que représente la loi de 1905, seule à même de défendre toutes les consciences, idées et croyances, et les conséquences de l'ère identitaire, fruit du libéralisme culturel, qui met notre société en péril et, faisant de chacun un objet politique autonome, nous voit entrer les uns et les autres en collision permanente au prétexte de nos particularismes revendiqués. 

    Pendant ce temps...

    Et c'est bien face à tout cela, froidement analysé par Laurent, que nous nous retrouvons à l'heure d'envisager d'introduire notre bulletin de vote dans les urnes au printemps prochain. Il avait tout vu, tout envisagé, mais certains préférèrent le poursuivre de leur vindicte pour quelques tweets ironiques, pour quelques posts Facebook posant de légitimes questions, pour quelques incitations à interroger le pays et non le seul microcosme d'une gauche d'estrade sans cesse agonisante sous le poids de sa suffisance. La gauche avait à disposition l'un de ses plus brillants émetteurs d'idées, l'un de ses plus prolifiques esprits. Elle a préféré sombrer dans de lilliputiens combats à base de bois mort et de défense du voile, d'offenses en passant devant des statues ou quelques caricatures innocentes (sauf pour leurs auteurs qui en périrent), d'écritures inclusives excluant tellement de nos compatriotes, et de tous ces sujets qui laissent une immense majorité des Français pantois, tant tout cela est aux antipodes de leur quotidien et des souhaits qu'ils peuvent exprimer. Hélas, rien n'ayant été fait, ils choisiront entre le pire et la caricature faussement moderne et disruptive figurée par l'actuel chef de l'État, qui ne représente qu'une passerelle enjambant le vide mais, hélas, trop courte... 

    Pendant ce temps, dans un monde parallèle, Cyril Hanouna, entend jouer l'arbitre des (inél)élégances de l'élection présidentielle à coups de clashs dégoulinants de vulgarité, comme il le fit pour la première de sa nouvelle émission, Face à Baba (rien que le titre...), avec le reflet de son miroir du PAF bolloréen, Éric Zemmour, et une poignée de contradicteurs en mousse, dont ceux de cette France Insoumise, dont le leader, Jean-Luc Mélenchon, a passé les dernières semaines à se vautrer en injures contre le Printemps républicain d'un Laurent agonisant... 

    Pendant ce temps, dans un monde parallèle, Christiane Taubira, cette fausse valeur richissime d'une gauche dont elle ne porte aucune des idées essentielles, Christiane Taubira, qui, en son temps, vota la confiance à Édouard Balladur, et refusa il y a peu d'appeler les Guyanais à se faire vacciner, Christiane Taubira donc, se présente en éventuel recours progressiste, pour peu que tous les tristes candidats déjà déclarés se couchent sur son passage, qui partout, tout le temps, ne déclencha que des catastrophes si l'on excepte le mariage pour tous, loi essentielle, mais mal amenée.... 

    Pendant ce temps, dans un monde parallèle, sur Twitter ou ailleurs, hier encore, il en est qui, gonflés de leur ignorance et de leur mépris pour le réel et le courage, deux notions souvent inséparables, imaginaient la manière dont Laurent serait en train de manoeuvrer, depuis l'au-delà (?), pour obtenir tel poste ministériel, tel avantage, telle influence, lui qui, de toute sa vie n'a jamais rien réclamé de tel et encore moins depuis les deux dernières années où il se savait condamné. Il en est encore qui, tout à leurs rêves de courtisans, font, croyant atteindre un être admirable en tout point, le récit de leurs bassesses personnelles, ne divulguant qu'eux-mêmes et dessinant à leur corps défendant le portrait de la grandeur de mon ami aujourd'hui disparu... De mon ami qui, dans son dernier message, à quelques heures du trépas, nous donnait, aux quelques indéfectibles, le qualificatif de frères. Et, haut et fort, je le dis, cette fraternité est vraie autant qu'elle fut un bonheur et le reflet d'une tristesse insondable à l'idée qu'elle ne se poursuivra pas. Mais, même si pour certains, dont je suis, c'est la fin d'une époque, l'héritage de Laurent lui survivra, dans les coeurs et par ses idées. Et ce sera son ultime victoire par-delà la douleur immense qui saisit sa femme, Astrid, ce monument de courage, qui ne peut être autrement puisqu'ils s'aimèrent à la hauteur des hautes qualités de chacun, et de ses filles qui, malgré les larmes ont pris l'exemple d'un homme vraiment exceptionnel. Je pense à elles à chaque instant, mon ami, mon frère.  


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    *Benjamin Sire est compositeur et journaliste. Il est également membre du conseil d'administration du Printemps républicain.  

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    Source : https://www.lexpress.fr/actualite/idees-et-debats/benjamin-sire-laurent-bouvet-les-victoires-dans-la-mort_2164605.html?utm_medium=Social&utm_source=Facebook&Echobox=1639904607#xtor=CS3-5076