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Signet Loupe

Avec Laurent Bouvet

     

    Catégories: France, Culture

    Ainsi il n’est plus. Il l’avait annoncé au grand public sur les réseaux sociaux il y a quelques jours et ceux qui le connaissaient un peu savaient que c’était la fin. Laurent Bouvet souffrait d’un mal incurable qui l’a empêché d’aller au bout de ce qu’il voulait faire.

    Et pourtant, c’est quelqu’un qui a tout changé.

    D’abord dans les années 90 puis au début des années 2000, en pointant du doigt la déconnexion grandissante entre la gauche et le peuple. Il prêcha longtemps au sein d’une famille politique qui ne voulait pas l’écouter. Il tenta d’expliquer qu’à force de ne plus parler de la France, de ne plus parler au peuple, la gauche était condamnée à perdre non seulement les élections, mais aussi à perdre son âme.

    Il n’est pas parvenu à emmener la gauche avec lui et l’a observée dériver, sourde à ses avertissements, refusant de voir ce que tout le monde voyait. En fait, Laurent était à cette époque dans le vrai, mais il lui manquait quelque chose. Il faisait partie de ces intellectuels que le milieu universitaire ne pouvait pas entièrement contenter. Il voulait être un intellectuel dans la société, il voulait élargir son audience tout en restant lui-même. Il lui manquait internet, il lui manquait les réseaux sociaux.

    C’est dans les années 2010 que Laurent Bouvet allait devenir bien plus qu’un politiste parmi les plus brillants de sa génération. Et il allait le devenir en alliant des ouvrages à la fois savants et accessibles et une présence en ligne jusqu’alors inédite où il descendait dans l’arène, dans la confrontation, avec son cortège d’excès et de passions.

    En se saisissant de deux problématiques très sensibles qu’étaient la question identitaire et la question laïque, Laurent Bouvet allait donner une boussole à ceux qui étaient perdus et n’arrivaient pas à mettre des mots, des concepts politiques sur ce qu’ils voyaient au quotidien. C’était précisément mon cas.

    Nous savions tous qu’il se passait quelque chose, que la société française était malade, traversée par des courants malsains qui visaient à détruire notre tradition universaliste, à enfermer chacun dans son identité réelle ou supposée, nous assistions fort bien au retour en force de la question religieuse partout, nous observions, impuissants, la migration électorale du peuple vers le Front national sans trouver de discours alternatif qui puisse l’empêcher.

    C’est là que, par le bouche-à-oreille, nous avons découvert que Laurent était bien plus qu’un professeur de science politique à la barbe fleurie qui gravitait autour du PS. Nous avons découvert, à travers l’insécurité culturelle, qu’il avait aperçu la solution, qu’il avait trouvé le moyen de réconcilier le peuple avec la politique ou en tous cas, qu’il avait posé un diagnostic qui, s’il était collectivement travaillé, allait pouvoir mettre la France sur la voie de la guérison.

    Nous avons donc échangé sur les réseaux sociaux, puis par le biais des messageries instantanées, puis nous nous sommes rencontrés, nous avons travaillé à la construction de ce discours que nous pensions efficace. Et nous le construisions avec lui sur les réseaux sociaux, en s’encourageant les uns les autres et en essayant de rendre plus concrets les concepts que Laurent avait développés, en essayant de les traduire en politiques publiques, en discours politiques. Bien entendu, cette démarche était extrêmement exigeante et nécessitait d’être en constant équilibre afin de ne pas tomber dans l’excès, de ne pas nous perdre dans l’abime.

    C’est à ce moment-là que, frais docteur en science politique, je devenais le conseiller d’un Maire de banlieue populaire. Je pense que j’ai accepté ce poste parce que Laurent, qui m’avait un peu coaché sur la fin de ma thèse, commençait à parler de laïcité, de combat républicain. Ce que nous avons construit, nous avons essayé de l’appliquer. Et ça a marché. Et parce que cela a fonctionné, cela a rendu fous ceux à qui Laurent avait essayé de faire passer ce message des années durant : les militants de gauche gagnés par l’idéologie indigéniste et décoloniale. Il faut être clair, ce sont eux qui, à peine l’annonce de son décès révélée, se sont parfois bruyamment réjouis de sa disparition, ce sont eux qui l’abreuvaient au quotidien de messages haineux, car ils leur montraient qu’ils avaient tort, il leur montrait qu’on pouvait parler de France, de République, de laïcité, de patrie sans être d’extrême droite. Et cela les rendait fous.

    Laurent Bouvet a ensuite écrit ce qui restera pour moi un des plus brillants livres sur la laïcité : « la nouvelle question laïque ». Cet ouvrage n’a pas eu le retentissement qu’il aurait mérité. Sans doute Laurent Bouvet était-il occupé au développement du Printemps républicain et qu’il fut ensuite fauché par l’annonce de sa maladie. « La nouvelle question laïque » est pourtant son œuvre à la fois la plus savante et la plus utile, car elle permet à tous ceux qui se sentent mal à l’aise avec cette montée du fait religieux qui semble inexorable de trouver des outils pour se redresser en brandissant cette valeur si française, si unique et si efficace.

    En fait, du « sens du peuple » à « la nouvelle question laïque », Laurent Bouvet a joué le rôle de l’intellectuel laïque que la France attendait. Il l’a fait de façon plus efficace que beaucoup d’autres, car il a su maitriser les réseaux sociaux mieux que quiconque. Il fut le premier intellectuel à le faire, presque tous les autres, amis ou adversaires, ont dû s’aligner sur sa façon de faire, moi le premier.

    Aujourd’hui, chaque message politique en ligne doit quelque chose au style Bouvet.

    Il était l’intellectuel moderne, il avait compris son époque et la façon de peser sur elle, de modifier le cours des choses en écrivant, en inspirant. Il n’est plus et même s’il dit avec optimisme qu’il sait que ses idées seront portées brillamment par d’autres, je pense ne pas être le seul de ses héritiers à se demander si je suis vraiment à la hauteur d’un tel modèle.

    Repose en paix Laurent, nous ferons ce que nous pourrons.


    Source : https://frontpopulaire.fr/o/Content/co726567/avec-laurent-bouvet