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Crise en Ukraine : victoire stratégique pour la Chine, danger pour l’Europe

La Russie a reconnu l’indépendance des territoires séparatistes du Donbass. Ses troupes sont prêtes à pénétrer sur le territoire ukrainien où déjà les Spetsnaz opèrent.

Je ne peux que condamner cette action contrevenant au respect de l’intégrité territoriale de l’Ukraine et au droit international, même si les précédents des référendums d’autodétermination de Bosnie-Herzégovine de 1992 et la déclaration d’indépendance du Kosovo, suivis de déploiements militaires par les USA ou l’OTAN servent de prétexte à la Russie.

On peut être étonné de l’impréparation de l’Occident, car l’offensive hybride russe est préparée de longue date : déploiement de troupes qui ont attiré l’attention, certes, mais avant attaques cyber clairement identifiées, déploiement d’agents provocateurs en Ukraine, distribution de 700000 passeports russes à des Ukrainiens d’origine russe (ce qui est en soit une invasion), vote au parlement russe d’une résolution reconnaissant l’indépendance des républiques autoproclamées de l’est de l’Ukraine, ballet diplomatique avec la Chine.

L’opération militaire en cours aurait pu être évitée si, dès 2014, l’OTAN et l’UE n’avaient pas encouragé l’éviction du président ukrainien démocratiquement élu ; si la Russie n’avait pas réagi à cette ingérence par l’annexion de la Crimée et le soutien aux revendications des séparatistes russophones du Donbass.

L’Ukraine aurait dû dès son indépendance en 1991 devenir neutre et fédérale, reconnaissant les droits de ses minorités russophone et tatare et adoptant le bilinguisme. Elle n’a en effet cessé de frôler des guerres civiles que la géographie des résultats électoraux prédisait.

Surtout l’extension sans fin de l’OTAN à l’est (dont celle, en cours de facto, à l’Ukraine), le refus de la mise en place d’une grande conférence sur la paix et la sécurité en Europe, le refus d’entendre le besoin de protection des minorités russes dans les pays de l’ex-URSS (près de 20 millions de Russes de l’étranger proche) et le refus du multilatéralisme au profit d’une hégémonie étasunienne dans les relations internationales ont été les facteurs d’une guerre froide larvée entre l’Occident et la Russie. Par ailleurs, la relance de la course aux armements initiée par les USA a été perçue à Moscou comme une menace : mise en place du « bouclier antimissile » en 2012, arrêt des discussions sur les accords New START (traité de réduction des armes stratégiques), sortie des USA du FNI (traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire) en 2020, ou encore sortie des USA du traité dit « ciel ouvert » en 2019 ont été autant d’étapes d’une escalade à laquelle l’Union européenne n’a fait qu’emboîter le pas. La Russie de son côté a renforcé ses dispositifs militaires, dont le plus grave a été le déploiement de missiles nucléaires de moyenne portée Iskander dans l’enclave de Kaliningrad en 2018.

Rien n’a été fait pour remédier à la montée des tensions, bien au contraire. Ainsi, aucune pression n’a été exercée en sept ans par l’UE pour que soient ratifiés par l’Ukraine les accords de Minsk, lesquels prévoyaient une autonomie des régions séparatistes dans les frontières ukrainiennes. Depuis 8 ans, la situation de guerre dans les régions de Louhansk et de Donetsk n’a donc pas été résorbée – 14000 êtres humains y ont trouvé la mort. Notons que l’Ukraine, malgré une armée de plus de 280000 soldats n’est absolument pas préparée pour tenir tête à l’armée russe. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky le sait fort bien – il faut dire qu’il a été sûrement, et paradoxalement, le plus sage des dirigeants européens ces dernières semaines, car il comprend le rapport de force réelle et que si celui-ci s’exacerbe, les rodomontades occidentales seront suivies de peu d’effets concrets sur le terrain. L’Ukraine a été utilisée comme prétexte à l’escalade, d’abord par la Russie, mais aussi par les Etats-Unis et pourrait être le pion sacrifié dont la conséquence serait un démembrement plus grave encore. La perte des deux républiques autoproclamées de l’est est un minimum presque acceptable. Plus grave serait l’extension de l’offensive jusqu’aux rives du Dniepr et la prise de la région de Marioupol qui permettrait à la Russie d’assurer une continuité territoriale avec la Crimée et qui est, je le crois, son objectif stratégique de long terme et dont elle se saisira immédiatement si les USA enjoignaient l’Ukraine à une riposte militaire.

La réalité, c’est que l’Ukraine est laissée à elle-même.

La France, elle, paie très cher les conséquences de son abandon manifeste de souveraineté nationale par son retour depuis 2009 dans le commandement intégré de l’OTAN. Emmanuel Macron ne peut à la fois être juge et partie en proposant des solutions de paix bienvenues d’un côté et en demeurant de l’autre soumis aux intérêts de l’OTAN et de l’UE. La voix d’une France souveraine, indépendante et non alignée aurait pu apporter une solution diplomatique ; elle aurait eu à tout le moins plus de crédit. Cela exige de cesser de suivre la ligne politique du clan des néoconservateurs et des faucons états-uniens pour qui l’OTAN et son extension permanente sont l’alpha et l’oméga d’une vision des Etats-Unis comme la « Nation utile » et donc hégémonique.

Aujourd’hui, les fauteurs de guerre des deux camps, partisans du choc des civilisations, des empires contre les nations, semblent marquer un point. Pour la France, plus que jamais alignée sur un empire américain qui la méprise, la rupture définitive avec la Russie ne fera qu’accélérer le déclin – « C’est de la guerre entre Napoléon et les Russes que date notre décadence » déclarait de Gaulle.

Pour le monde, le renforcement des liens entre une Russie éloignée de l’Europe et une Chine impérialiste dessine les frontières de deux blocs et les fronts d’une nouvelle guerre froide à l’échelle du monde.

Le positionnement atlantiste de la France et les nouvelles sanctions économiques que l’OTAN et l’UE prévoient d’infliger déjà à la Russie, en plus des sanctions déjà existantes, ne resteront pas sans conséquences pour les peuples d’Europe. Ces sanctions, comme les précédentes, frapperont aussi les Français et nos entreprises. Le prix du gaz russe sera encore accru, avec des conséquences graves pour notre population, tandis que les exportations agricoles et industrielles françaises se verront privées de marchés importants dans le monde russophone. Il y a plus de 500 entreprises françaises en Russie. Qui sait que ces entreprises françaises sont le premier employeur privé sur le marché russe ? L’Europe importe un tiers de son gaz de Russie. Or, la totalité ne pourra être compensée par le gaz de schiste étasunien ou celui du Qatar.

La conséquence d’une éventuelle rupture de l’approvisionnement en gaz russe pourrait conduire à une crise économique sans précédent : de l’industrie allemande qui sera gravement touchée à la désagrégation définitive de l’Ukraine dont les finances et le système politique ne supporteront pas un choc du gaz en plus de l’occupation de son territoire.

Enfin et surtout, l’isolement de la Russie par le camp occidental précipitera inéluctablement son alliance avec la Chine, déjà largement avancée.

L’action commune des deux pays dans le cadre de l’Organisation de la coopération de Shanghai et la multiplication des ingérences extérieures signent bien une nouvelle configuration géopolitique, dont le camp occidental sortira affaibli. Notons que cette alliance en construction a été rejointe par l’Iran – là encore, le retrait unilatéral des USA de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, après quinze ans de négociation, accroît les tensions et précipite l’Iran dans les bras de la Chine.

Pour se prémunir de sanctions éventuelles, la Russie a développé avec la Chine un système SWIFT autonome (CIPS) et a liquidé ses réserves en dollars. Le risque pour les USA est de plomber le dollar comme monnaie de référence mondiale, pourtant l’objectif géostratégique premier de Washington. Si tel devait être le cas, l’affaire ukrainienne serait un terrible coup du scorpion de la Chine contre les USA dont elle veut briser la domination hégémonique.

Lors du « premier conflit d’Ukraine » qui a vu l’annexion de la Crimée par la Russie, c’est déjà la Chine qui lui était venue en secours pour tenir bon face aux sanctions occidentales. Ainsi la Chine avait sauvé l’économie russe par le biais d’un prêt financier de 50 milliards de dollars et d’une entente commerciale de plus de 400 milliards de dollars, matérialisée par l’achat de gaz naturel russe sur… 30 ans, à un très bon prix sous le cours, donnant un immense avantage à la Chine. De plus, la Chine investissait également 25 milliards pour construire le gazoduc « Force de Sibérie » pour acheminer le gaz. Il est en fonction depuis 2019. Cela avait sauvé la Russie, et depuis la coopération entre les deux puissances n’a fait que s’accélérer : accords commerciaux, agricoles, spatiaux (avec le projet notable de construction d’une base commune permanente sur la Lune) et bien entendu géostratégique avec des votes communs réguliers au Conseil de Sécurité de l’ONU et surtout des transferts de technologies militaires au profit de la Chine, au point que la Chine est aidée pour le développement de son système de défense anti-missiles, domaine dans lequel la Russie a un avantage comparatif notable.

Cette fois, en préparation de la deuxième crise ukrainienne, la Russie a signé un nouvel accord de coopération avec la Chine, lors de la visite officielle de Vladimir Poutine à Xi Jinping, le 4 février dernier où a été signé un nouvel accord gazier de 30 ans !

Aujourd’hui, la Russie livre près de 17 milliards de mètres cubes de gaz à la Chine. Le nouvel accord prévoit de livrer 48 milliards de mètres cubes de gaz en 2025 !

Les premières installations pour réorienter le gaz fourni à l’Europe vers l’est sont déjà posées, il s’agit du titanesque gazoduc « Force de Sibérie 2 » qui traversera tout le continent, depuis la zone d’extraction de Yamal au nord de la Russie – dont l’entreprise française TotalEnergies pourrait être finalement exclue – jusqu’à la Chine. Celle-ci, de surcroît, s’engage à acheter 300 000 barils de pétrole par jour sur 10 ans à la Russie !

Résultat, la Chine reçoit un soutien massif en hydrocarbures à bas coût lui permettant de… ne plus dépendre du gaz liquéfié des Etats-Unis ni du charbon d’Australie. Ça tombe bien pour Pékin compte tenu de l’accord stratégique AUKUS (Australie, Royaume-Uni, USA dont la France est exclue) orienté contre la Chine dans le cadre du redéploiement stratégique des USA dans le Pacifique et dans l’Océan Indien. Fort logiquement, ayant reçu le soutien chinois dans l’affaire ukrainienne, la Russie soutient la Chine face à l’alliance AUKUS en particulier dans ses prétentions en mer de Chine et sur Taïwan.

Mais ce n’est pas tout ! Chine et Russie se promettent de faire croître leurs échanges commerciaux de 40%, et de les libeller non pas en dollars, mais en Euros ! D’ailleurs, la plus grande partie du commerce entre Moscou et Pékin se fait déjà en Euro. C’est là que la Chine porte principalement le fer contre les Etats-Unis d’Amérique.

Dans l’affaire ukrainienne, la chine est largement gagnante : approvisionnements garantis en gaz bon marché, contrôle sur la Russie qu’elle loge dans son escarcelle stratégique tout en déstabilisant l’Europe durablement, et enfin, elle retarde de facto le redéploiement stratégique des USA dans la zone indopacifique – toute riposte d’envergure des USA sera autant de moins à déployer face à la Chine.  

Souhaitons-nous voir la Russie se détacher définitivement de l’Europe vers laquelle elle est naturellement tournée ? Car, il doit être clair à chacun que l’alliance de la Russie avec la Chine est un pis-aller : avec la Chine, la Russie sera toujours un second couteau, menacée démographiquement et économiquement dans son extrême est sibérien et vendant son gaz à bas coût.

Le destin de la Russie était de s’aligner sur l’Occident – c’était la volonté initiale de Boris Eltsine et même de Vladimir Poutine alors jeune président de Russie – l’entêtement à vouloir étendre l’OTAN a brisé le destin d’une Europe des Nations où la Russie avait toute sa place, ce qui était la vision du Général de Gaulle.

Qu’avons-nous à gagner, nous Européens et spécifiquement Français, à perdre la Russie et à renforcer ainsi encore et encore la Chine ?

Voulons-nous que soit tiré un nouveau rideau de fer ?

Souhaitons-nous un tel dénouement ?

Si la réponse est non, cela exige d’œuvrer à un monde multilatéral et non à un monde où les blocs se confrontent en visant une hégémonie dévastatrice pour tous.

Georges Kuzmanovic , Président de République souveraine


Source : https://www.revuepolitique.fr/crise-en-ukraine-victoire-strategique-pour-la-chine-danger-pour-leurope/