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Signet Loupe

« Le dernier baiser »

Il régnait le 3 mai 1981 une atmosphère un peu curieuse, qui ressemblait beaucoup à celle qui règne ce dimanche.

Les chroniqueurs politiques – Alain Duhamel et Jean-Pierre Elkabbach étaient déjà les papes de l’éditorialisme et du commentariat – étaient tous bien d’accord : même si l’on n’utilisait pas encore le terme, Valéry Giscard d’Estaing allait « enjamber » cette élection présidentielle et rester sept ans de plus à la tête de notre pays. Il n’y avait de toute façon pas d’alternative possible, si ce n’est un effroi sans fin au cas où serait élu son adversaire.

Les sondeurs donnaient depuis toujours une confortable avance au président sortant, même si elle s’était érodée au fil du temps – il n’était plus qu’entre 52 et 54 % comme Macron aujourd’hui –. Mais, « en même temps » chacun sentait qu’il se passait peut-être quelque chose : et si l’impensable avait lieu…

Ce serait quelque chose proche de la fin du monde.

Raymond Aron, dont on loue aujourd’hui, notamment « à gauche », les talents de visionnaire, et l’extrême capacité à présenter des analyses nuancées, expliquait dans le Figaro que, si d’aventure était élu ce monstre de François Mitterrand, dès lundi 11 mai 1981, les chars russes défileraient sur les Champs Élysées, rien de moins.

Tous les gens importants avaient dit combien il était indispensable de voter Valéry Giscard d’Estaing au second tour de l’élection présidentielle.

Tous les gens chics, tous les gens bien, tous les gens qui avaient accès à la parole publique, mettaient en garde contre le communisme et le malheur dans lequel il plongerait le pays, et d’abord les plus faibles !

Tous ceux qui avaient mené le pays les 23 dernières années étaient rassemblés en rangs serrés derrière lui, comme le sont derrière Emmanuel Macron tous ceux qui ont mené le pays les 41 dernières années. Les haines interpersonnelles immenses qu’il y avait entre tous ces gens étaient bien plus faibles que celles qui séparent aujourd’hui ceux qui font corps, ceux qui font bloc, derrière le seul candidat possible : Emmanuel Macron.

Valéry Giscard d’Estaing était sûr d’être réélu, puisqu’il avait fait, au premier tour, à peu de chose près, le score d’Emmanuel Macron dimanche dernier, tandis que son concurrent avait fait, à peu de chose près également, le score de Marine Le Pen dimanche dernier.

On se relayait sur les plateaux de télévision, fort peu nombreux à l’époque – mais très suivis alors par la population qui ne disposait pas des réseaux sociaux –, pour expliquer à quel point tout cela était joué, à quel point, naturellement, il y avait toujours un risque, parce que le suffrage universel présente cette possibilité de sombrer dans l’inconnu et dans l’aventure, mais que les gens bien étaient plus nombreux que les aventuriers dans ce pays, et que l’on n’allait pas baisser pavillon devant le monstre socialo-communiste, monstre collectiviste qui allait couper les vaches et les chèvres en deux et socialiser les femmes.

Parce que c’était rien moins qu’un saut de civilisation qui nous était annoncé.

Il était expliqué par tous les gens importants, sans notables exceptions, que nous allions basculer d’un coup dans l’enfer communiste, de la même façon que l’on nous propose aujourd’hui de refuser de basculer dans l’enfer national-socialiste.

On nous rappelait les victimes des camps soviétiques, de la même manière qu’on nous chante Oradour-sur-Glane, on nous chantait la Sibérie et l’on nous racontait, dans le détail, comment on mourrait lorsqu’on n’avait pas les bonnes idées, à Moscou.

De doctes spécialistes nous expliquaient comment, si par malheur François Mitterrand était élu, la Ve République serait morte parce que la République serait tuée, il contournerait les règles, l’État de droit, et tout ce qui fait la démocratie, pour installer un régime socialo-communiste marqué par un collectivisme violent et agressif.

Ce serait la fin de la propriété privée.

Ce serait la fin de toutes les valeurs qui ont fait notre monde, et un basculement dans le noir, dans le sombre enfer qui était le monde totalitaire communiste, dont la chape de plomb s’installerait à 20h, si François Mitterrand était élu, ce qui serait impensable, im-pen-sable !

L’ambiance était donc à ce mélange de certitude absolue de la reconduction du président sortant, et de frissons délivrés à toute la population, que nous étions au bord du précipice que la moitié – certes minoritaire – du pays ne rêvait que d’aller en enfer, sous la direction d’un diable incarné, créature du sombre Brejnev, car il n’y avait pas encore de Poutine pour faire peur.

L’élection de François Mitterrand, c’était naturellement, naturellement, la rupture avec nos alliés historiques, c’était l’isolement international définitif de la France qui serait mise au ban des nations, des nations civilisées s’entend, puisqu’elle basculerait d’un bloc et d’un coup dans le camp communiste, entraînant la force de frappe de notre pays, eh oui ! Déjà !

Et doctement, certains calculaient le déséquilibre mondial qu’entraînerait le basculement de la force de frappe française dans le camp communiste, en cas d’élection de François Mitterrand.

Autant dire que voter pour François Mitterrand c’était s’exposer à la guerre mondiale, ou, au minimum hâter l’apocalypse nucléaire de manière inconsidérée.

Qui avait le droit de répondre à ce torrent de vérités étincelantes, d’expressions de ce qui n’était pas encore « le cercle de la raison » ou « la seule politique possible » ? Quelques obscurs collectivistes, autour du monstre François Mitterrand, on les montrait parce que les règles du temps de parole étaient déjà installées, mais on sentait bien qu’on ne les montrait que pour mieux démontrer que jamais il n’accèderaient au pouvoir et jamais la mort communiste ne recouvrirait de son linceul le visage de la fille aînée de l’église.

C’était tout pareil à aujourd’hui.

Comme aujourd’hui, les dirigeants communistes dont on pouvait imaginer qu’ils allaient se battre pour renverser Valéry Giscard d’Estaing, se bousculaient sur les plateaux de télévision pour dire à quel point François Mitterrand était un danger, parce que finalement il n’était pas différent de Valéry Giscard d’Estaing, il était comme tous les autres, et que si l’on voulait vraiment mener le combat pour les travailleurs et contre le capitalisme il fallait se détourner de François Mitterrand. Comme LFI le chante aujourd’hui à l’encontre de l’adversaire d’Emmanuel Macron.

Eh oui, tout pareil à aujourd’hui !

Ils expliquaient – comme LFI aujourd’hui – que seule la présence massive de leurs députés au Parlement pouvait aider les travailleurs, mais sûrement pas ce menteur de François Mitterrand, qui avait eu la Francisque autrefois.

Ils avaient déjà fait échouer l’élection législative de 1978, la gauche y était largement majoritaire au premier tour, mais après une visite de Zorine, l’ambassadeur d’URSS, chez Giscard, les Communistes avaient déclaré qu’on ne pouvait pas faire confiance aux Socialistes, les reports ne s’étaient donc pas faits correctement, et la droite avait gardé la majorité des députés. Donc on avait la certitude, chez les éditorialistes, comme en haut lieu qu’il réussiraient, cette fois-ci aussi, à imposer la reconduction du sortant.

Donc, tout s’annonçait bien pour cette seconde semaine de l’entre-deux-tours. La France passerait à côté de la déchéance et de l’enfer collectiviste, Valéry Giscard d’Estaing serait réélu, et tout continuerait comme avant.

Tout ce que la société compte de gens élégants et raisonnables, tous ceux qui vous ont amusé et fait rire, tous ceux qui vous ont émus et passionnés, tous les présentateurs de télévision, tous les gens bien sont rassemblés : il faut empêcher ce péril mortel, il faut empêcher l’élection de François Mitterrand !

On se fait des frissons en pensant qu’une élections n’est jamais gagnée tant que le résultat n’est pas vraiment proclamé, mais en haut lieu on n’a pas peur.

Du côté des opposants on n’affiche pas un moral de vainqueur, on pense volontiers que c’est perdu, comme d’habitude…

Il faut dire que depuis 23 ans, l’idée de l’alternance est présentée comme le chaos absolu, et que la population, dans sa majorité, marche dans cette chanson du chaos et reconduit toujours les mêmes, malgré des succès de moins en moins évidents.

Dans la fin de matinée du dimanche 10 mai, les sondeurs font savoir aux autorités qu’ils confirment leurs inquiétudes de la veille. Il est en train de se passer quelque chose, que l’on voit mal mais qui inquiète.

Dans cette fin de matinée, les visages des autorités et des éditorialistes qui lisent les sondages « sortie des urnes » font penser à cette chanson écrite par Serge Lama et composée par Alice Dona, qui décrit bien leur désarroi à la lecture des chiffres que présentent les instituts :

« C'est la barque qui chavire en plein cœur de juillet
Sur un étang calme et plat comme nos destinées
C'est la fleur qui tombe morte avant d'être fanée
C'est le train qu'on prend sans savoir qu'il va dérailler
L'avion qu'une bombe en plein vol va pulvériser
Le point d’orgue au milieu d’un chef-d’oeuvre inachevé ».

Qui sait si cette description ne sera pas d’actualité dimanche pour les puissants d’aujourd’hui ?

Comme nous sommes dimanche, mes réflexions m’ont conduit, comme habituellement vers une chanson, je vous incite à écouter celle-ci, parce qu’elle est très belle. Et parce que ce qui est évoqué incarne curieusement, cette semaine, une forme d’espoir pour des millions de Français.

Elle a été interprétée par son auteur, comme par sa compositrice, et aussi par Annie Girardot, actrice principale du film dont la chanson porte le nom puisqu’elle est la chanson de ce film sorti le 11 mai 1977.

J’ai choisi l’interprétation de la compositrice.

Le dimanche, avec plus ou moins de succès, mais pour le plaisir de quelques aficionados, je diffuse une musique sur cette page.

Je vous propose d’écouter, aujourd’hui, Alice Dona qui chante « Le dernier baiser » :
https://youtu.be/qxJrtIW4LH8


Source : https://www.facebook.com/1504611594/posts/10220074061590873/