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BRICS, La grande désillusion

Source : ANTIPRESSE 466 LE GRAND JEU par
Jean-Marc Bovy

Une Russie que l’on dit isolée du monde et, avec elle, son président ostracisé, ont dû se réjouir en cette fin de saison d’accueillir vingt chefs d’État dans la ville de Kazan pour le sommet des BRICS (voir AP465). Les BRICS semblent aujourd’hui rallier à eux la majorité de ce qu’on désigne par le Sud global ou ce qu’il conviendrait mieux d’appeler le Non-Occident. Mais des soupçons commencent à poindre quant aux visées réelles de ce mouvement.

À l’origine en 2009, l’organisation réunissait le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine, auxquels est venue rapidement s’ajouter l’Afrique du Sud.
Début 2024, quatre nouveaux États ont été admis comme membres à part entière, soit l’Iran, les Émirats arabes unis, l’Égypte et l’Éthiopie. À l’heure actuelle, plus de 30 pays se pressent aux portes de l’organisation, dont la Turquie pourtant membre de
l’OTAN. Un véritable succès? C’est à voir.

Sur leur site internet appelé
Katioucha
les patriotes de Russie n’ont pas tardé à réagir à la Déclaration de Kazan, un document de 43 pages publié à l’issue du grand raout sur la Volga. Leur communiqué est intitulé «La Déclaration de Kazan faite par les Leaders des BRICS: un agenda clairement globaliste sous couvert de multipolarité». Pour les souverainistes de Katioucha, «il est évident que les buts de l’union des pays qui se posent en alternative au bloc atlantiste sont pratiquement les mêmes que ceux du “Pacte du Futur” de l’ONU adoptés cette même année à New York (…). Ce qui nous est proposé est le modèle tristement familier de la mondialisation, appliqué non plus seulement aux pays du bloc atlantique et à leurs
satellites, mais à l’Eurasie et au “Sud global”. (…) Les BRICS sont une sorte de sous-projet en main des mêmes curateurs».

A la lecture de la Déclaration de Kazan, il saute aux yeux que son vocabulaire est emprunté à la novlangue globaliste. Ses rédacteurs semblent s’être formés à l’école de Davos, avec toute la panoplie du lexique branché qui va du développement durable à l’inclusivité, en passant par la création d’une infrastructure numérique unique à toute la société. À plusieurs reprises, la Déclaration réaffirme le
rôle directeur de l’ONU, de l’OMS, du FMI et de l’OMC, grâce auxquels, selon Katioucha, «les mondialistes sont à la manœuvre pour prendre le contrôle de la gouvernance sur l’humanité tout entière».

Les patriotes de Russie, qui rêvent encore d’une souveraineté en tous domaines, ont perçu une petite lueur d’espoir à la lecture de la Déclaration. Celle-ci prévoit un système de paiement entre pays membres des BRICS basé sur leurs monnaies nationales, ainsi que la mise en place par les banques centrales d’un dispositif unique de compensation fondé sur un panier de devises, le but étant de se passer du dollar. De tels mécanismes financiers sont complexes et il faudra du temps pour dédollariser une bonne partie de la planète habituée à faire confiance au billet vert.

Il est aussi question de remplacer le système Swift de paiement interbancaire pour échapper aux sanctions occidentales, comme a dû le faire la Russie. Mieux encore: les BRICS ont le projet de créer une monnaie commune, sur le modèle de l’euro.

Dans une des réceptions du sommet de Kazan, Poutine a créé la surprise en agitant avec un sourire en coin un modèle de coupure aux couleurs des cinq États fondateurs des BRICS.

L’unité de cette nouvelle monnaie n’a pas encore de nom. Vient naturellement à l’esprit celui de «brique», qui devrait s’imposer face à la «buck» des Yankees. Trêve de jeux de mots, cette révolution monétaire s’annonce compliquée et pourrait aboutir à l’opposé du but recherché, qui était celui d’une indépendance du monde des BRICS par rapport au FMI et à la Banque mondiale.

Ces institutions qui règnent en maîtres du monde depuis Washington ne sont pas près de lâcher le morceau. Paradoxalement, elles peuvent compter à Moscou sur la complicité d’Elvira Nabioullina, cheffe de la Banque centrale de la Fédération de Russie, et sur celle d’Anton Silouanov, ministre des Finances. Tous deux font partie du camp des globalistes, que beaucoup en Russie identifient à une cinquième colonne obéissant à des impératifs étrangers, alors qu’ils prétendent défendre les intérêts de leur pays en appliquant seulement les règles de bonne gouvernance et les canons de la haute finance internationale.
Nabioullina, qui a été saluée par le FMI comme «la meilleure cheffe de banque centrale», entend participer dès l’an prochain à la mise en place des CBDC, à déchiffrer comme des monnaies numérisées de banques centrales (Central Bank Digital Currencies). La Russie donnerait ainsi l’exemple à l’ensemble des BRICS en participant au projet initié par le Forum économique de Davos et relayé par la Banque mondiale. On ne fait pas plus globaliste et moins alternatif.

Après avoir été éloigné du centre du pouvoir, l’économiste Sergueï Glaziev, ancien candidat aux présidentielles qui fut conseiller de Poutine de 2012 à 2019, avait accusé Nabioullina et Silouanov d’être «les assassins de l’économie nationale».

Qui pourrait lui donner tort lorsqu’on sait que le taux actuel de la
banque centrale russe est de 21 %, un des plus hauts de la planète? Avec son ministre complice, la super banquière au visage poupin est aussi soupçonnée de favoriser les oligarques qui ont mis leurs avoirs en sécurité et à l’abri des sanctions occidentales sur des plateformes offshore. Last but non least, sur l’initiative de Silouanov, les copieux bénéfices réalisés sur les exportations d’énergie et de matières premières ne sont pas incorporés dans le budget de la fédération pour être réinvestis dans l’économie, mais placés en grande partie auprès de la Banque fédérale de réserve des États-Unis.

Pour tous ceux qui s’intéressent au sujet, nous ne pouvons que conseiller le site francophone Russiepolitics de Karine Béchet-Golovko, professeur de droit public à l’Université d’État
de Moscou, qui vit l’actualité russe de l’intérieur.

Elle partage sur bien des points l’opinion des patriotes qui s’expriment sur Katioucha.
Sa dernière chronique consacrée aux BRICS est intitulée

«Les BRICS, ce nouveau Veau d’Or»
. Beaucoup s’interrogent avec elle sur les raisons qui poussent Poutine à ce laisser-faire.

Les chroniques en anglais de Rurik Slavsquat vont dans le même sens et sont bien documentées, même si elles peuvent paraître excessives et provocatrices.


Source : https://antipresse.net/brics-la-grande-desillusion/