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Signet Loupe

« La France a scolarisé 10% des enfants algériens en 130 ans », s'indigne Jean-Michel Aphatie.

Par

Fergane Azihari

La faiblesse de l'oeuvre scolaire dans les colonies est en effet un lieu commun de la littérature anti-coloniale. Bilan d'autant plus accablant que la colonisation, ses atrocités incontestables, ses crimes, ses discriminations, ses spoliations étaient motivés par la nécessité de « civiliser les races inférieures », pour reprendre l'expression alors en vogue.

Or, si même sur l'école, les puissances européennes n'ont pas rempli leurs objectifs, c'est bien que « la mission civilisatrice » n'était que le faux-nez du despotisme menteur, n'est-ce pas ?

Mais comme la plupart des discours tiers-mondistes, ce lieu commun pèche par une lecture très paternaliste et partiale de l'histoire, avec de nombreux mensonges par omission.

Paternaliste, car s'il incrimine exclusivement une France, qui aurait sans doute pu mieux faire dans ce domaine comme ailleurs, il se garde bien d'interroger l'attitude des indigènes à l'égard des savoirs apportés par le colonisateur.

Ici, en effet, et comme toujours, l'indigène est relégué au rang de vulgaire spectateur à la remorque de l'histoire qui n'aurait pas la moindre emprise sur son destin, ce qui reproduit précisément un certain nombre de clichés coloniaux.

Ainsi, sur l'oeuvre scolaire dans les colonies, un journaliste objectif officiant dans pendant une heure de grande écoute aurait pu rappeler que les indigènes musulmans étaient particulièrement réfractaires au fait d'envoyer leurs enfants à l'école du mécréant.

En Algérie, « les chefs arabes se font toujours prier pour envoyer leurs enfants, notait le recteur Delacroix au début de 1860, et il en est sur lesquels les généraux sont obligés d’exercer une certaine pression pour leur faire accepter la concession d’une bourse ».

À l'inverse, le baron Jean-Jacques Baude note ceci à propos des juifs d'Algérie : « Leurs enfants fréquentent nos écoles, parlent notre langue, prennent notre costume : sans perdre leur esprit de caste, ils deviennent clercs d’avoués, notaires, employés d’administrations ; ils sont déjà initiés à notre législation »

A la fin des années 1850, le nombre d’élèves juifs scolarisés à Alger seulement est de 1700 ; 80 d’entre eux étudient dans le lycée de la ville, en 1854, alors que le nombre d’élèves musulmans n’y dépasse pas 12.

De fait, « Les « écoles Jules-Ferry », censées civiliser les indigènes en les sécularisant, étaient celles du colonisateur et c’est à ces deux titres (programmes d’enseignement laïcisés et rapport colonial) qu’elles seront boudées par les musulmans », rappelle l'historien Pierre-Jean Luizard.

Ainsi, en 1955 , 60 à 90 % des enfants juifs de Tunisie et du Maroc sont scolarisés (100 % en Algérie), contre 14 % à peine des enfants musulmans, qui demeurent sous le joug de ces lieux d'abrutissement qu'on appelle les écoles coraniques.

Dans son roman autobiographique, l'écrivaine marocaine Leïla Houari se remémore ceci : « Le premier jour de classe, manque de chance, je rencontre mon père, il devint rouge de colère, me prit par les oreilles et me ramena à la maison en criant que, lui vivant, aucun de ses enfants, encore moins une fille, n’irait étudier chez ces koufars (incroyants) de Français, cela suffisait qu’ils nous prennent notre pays, voilà qu’ils se mettaient aussi à détourner les jeunes de la religion par leur savoir ».

Il est remarquable de constater que l'on retrouve ce schéma dans tous les pays musulmans où pénètre l'influence occidentale.

Au Levant et en Egypte, les écoles administrées par les missions chrétiennes - qui joueront un rôle considérable dans l’émergence d’une bourgeoisie locale et occidentalisée - peinent à attirer des musulmans. Ces derniers demeurent sous-représentés dans les établissements européens.

En 1914, dans les provinces ottomanes de grande syrie, les missions catholiques françaises, ouvertes à toutes les confessions, scolarisent près de 50 000 élèves, mais ne comptent que 8,7% de musulmans sur un territoire où ils forment plus de 80% de la population. En Egypte, les Syro-Libanais, catholiques, juifs et étrangers dominent, suivis par les coptes et les musulmans.

Même configuration dans l'Inde britannique.

En Inde, « alors que les musulmans boudaient les écoles créées par les Anglais, les hindous avaient rapidement compris tout le parti qu’ils pouvaient tirer d’une éducation de type occidental (...). D’après les divers rapports officiels anglais de la fin du XIXe siècle, la fréquentation musulmane des écoles anglaises était négligeable (...) Un journal bengalî, note que, de 1858 à 1875, seuls cinquante-sept musulmans avaient obtenu le B.A. (diplôme anglais de « Bachelor of Arts » équivalant à notre baccalauréat), contre trois mille cent cinquante-cinq hindous (...) Malgré les efforts faits par les Anglais pour remédier à cet état de choses, tout d’abord par Lord Mayo en 1871, puis deux ans plus tard par Lord Northbrook, enfin par la commission pour l’Éducation créée en 1882 et 1884, qui tendait à encourager les musulmans à s’éduquer en créant pour eux des bourses spéciales et en favorisant les associations pour le développement de l’éducation parmi les musulmans, ceux-ci firent peu de progrès. (...) Si une partie des classes aisées commença timidement à envoyer ses enfants dans les écoles publiques et les collèges, la majorité des musulmans des classes moyennes et pauvres demeurait attachée à l’enseignement coranique traditionnel », note l'indianiste Louis Frédéric.

Toujours en Inde, dans les années 1930, si les femmes musulmanes fréquentaient relativement assidûment les classes primaires, elles se trouvaient pratiquement absentes des universités. Dans la même année 1935, on ne comptait que trois cents jeunes filles musulmanes dans les institutions de haut niveau, contre cinq mille cinq cents hindoues.

Passons sur le rôle des merdesas, des écoles coraniques, confrériques, des zaouïas qui maillaient les pays musulmans...Alors que les structures ecclésiastiques européennes ont joué un rôle clef dans l'appropriation et la traduction du savoir gréco-arabe au moyen-âge, on ne trouve aucune initiative d'ampleur similaire dans les centres d'enseignement musulmans : « La curiosité a été atténuée, émoussée par la volonté de fidélité à l’Islam (...) qui a primé en quelque sorte sur la recherche de l’altérité », note l'historien Gérard Leclerc.

Du Maroc à l'Inde, en passant par le Levant, pourquoi certaines communautés se sont montrées plus réfractaires que d'autres à s'approprier les philosophies et les savoirs occidentaux, avec les conséquences que l'on sait sur l'état actuel du monde musulman ?

Voilà la question que Monsieur Aphatie ne posera jamais sur Quotidien, tant ce dernier ne cherche pas à informer son public, pas plus qu'il ne s'intéresse aux dynamiques endogènes à l'oeuvre dans les cultures musulmanes.

Il ne s'agit que de perpétuer le sanglot de l'homme blanc et de se regarder le nombril au terme de de ce que Finkielkraut a très justement appelé le « narcissisme pénitentiel ».

Sources :
- Charles-Robert Ageron, Les Algériens musulmans et la France
- La France en terre d'islam, Pierre Vermeren
- L'inde de l'islam, Louis Frédéric
- La mondialisation culturelle, Gérard Leclerc
- Le choc colonial et l'islam, Pierre-Jean Luizard
- Les consistoires israélites d'Algérie au XIXe siècle, Valérie Hassan
- Histoire des Arabes, Eugen Rogan
- Leïla Houari, Zeida de nulle part
- Georges Bensoussan, L'Alliance israélite universelle (1860-2020) : Juifs d Orient Lumières d Occident


Source : https://x.com/FerghaneA/status/1885605017530294540?t=rkyZrmnpfhkGp-9UlbrRHA&s=19