«L’Opéra de Paris formaté par l’idéologie décolonialiste?»
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FIGAROVOX/ENTRETIEN - L’arrivée à l’Opéra de Paris de promoteurs zélés de la diversité fait redouter un nouvel appauvrissement du répertoire et de la mise en scène, estime la maître de conférences et essayiste.
Isabelle Barbéris est maître de conférences (HDR) en arts de la scène. Elle a notamment publié L’Art du politiquement correct (PUF, 2019).
FIGAROVOX. - Un article du Monde se réjouit que l’opéra de Paris s’apprête à son tour à «décoloniser» son répertoire, ses décors, ses costumes... Est-on à nouveau face à une manifestation de «l’art du politiquement correct»?
Isabelle BARBÉRIS. - On est face à un académisme anticulturel décomplexé, qui transforme l’art - patrimoine et création - en ingénierie sociale. Les directions de prestige des Conservatoires nationaux comme de l’Opéra sont désormais formatées par cette idéologie du ressentiment, avec à leur tête des militants qui font passer au forceps leur propagande inclusiviste - ce qui ne se fait pas sans violence pour les élèves de ces écoles, qui ressentent la dégradation de leurs formations.
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Ce qu’il se passe à l’intérieur des murs du Conservatoire national supérieur d’art dramatique, par exemple, est proprement carnavalesque. On qualifie fallacieusement cela de «cancel culture». Il s’agit d’une énième expression inversatoire puisque nous avons au contraire affaire à une haine de la culture.
Craignez-vous un appauvrissement du répertoire et de la mise en scène à l’opéra, au prétexte paradoxal de promouvoir davantage de diversité?
L’appauvrissement du répertoire est en fait en cours depuis des années. Le déconstructionnisme ambiant a réduit comme une peau de chagrin le nombre d’œuvres jouées, au profit de mises en scène et de relectures prétendument «dépoussiérantes»… en fait, bien souvent poussives et dogmatiques.
Lorsque l’on ne sait plus créer, on s’attaque aux œuvres qui existent car leur grandeur (...) ne peut que paraître insupportables aux mal-inspirés
Mais au-delà, c’est d’abord un appauvrissement des imaginaires, ce qui est bien plus inquiétant. Les sornettes des démolisseurs dissimulent à peine l’absence de projet artistique et de substance. Lorsque l’on ne sait plus créer, on s’attaque aux œuvres qui existent car leur grandeur, leur pesanteur également, ne peuvent que paraître insupportables aux mal-inspirés.
L’argument de «conquérir des nouveaux publics» est-il selon vous recevable?
La démocratisation a déchu en démocratisme. C’était avant la même exigence pour tous, et la volonté tenace d’élever l’humanité grâce à l’art. L’idée même de s’élever, dans tous les sens du terme, est devenue suspecte et «oppressive».
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On a donc troqué cette exigence (autre mot «oppressif») contre de la communication flattant les réflexes d’identification les plus sommaires, pour conquérir des nouveaux publics segmentés en niches et en «intersections» de niches.
Que vous inspire la proposition des auteurs du manifeste de promouvoir davantage les danseurs de couleur?
Toute diversité autre que sociale et artistique n’a pas à être «promue», car elle est un fait. Fait que l’on transforme en campagne de communication criarde et permanente, en moulin à prières. Assorti d’une inflation de rapports et autres «études» en autoreporting elles-mêmes pilotées par des experts en idéologie, sans aucun pluralisme consultatif, histoire de bien boucler la boucle.
Pour promouvoir les danseurs, quelle que soit leur « couleur », il faudrait commencer par ne pas amoindrir la vision de leur art, ni rabougrir le prestige de l’institution qui les forme et les accueille
Les choses devraient se passer naturellement, sans tout ce tapage racialiste, sexiste et nihiliste, et scientiste, insultant pour les artistes et les publics. Pour promouvoir les danseurs, quelle que soit leur «couleur», il faudrait commencer par ne pas amoindrir la vision de leur art, ni rabougrir le prestige de l’institution qui les forme et les accueille.
Ni les exhiber comme des trophées. Les inclusivistes gagneraient à méditer cette maxime de Chamfort: «il faut être juste avant d’être généreux, comme on a des chemises avant d’avoir des dentelles».
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Source : https://www.lefigaro.fr/vox/societe/isabelle-barberis-l-opera-de-paris-formate-par-l-ideologie-decolonialiste-20201229