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"Défendre l’identité de la France, c’est défendre sa souveraineté, c’est-à-dire son existence"

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    Depuis la dissolution du mouvement Génération identitaire, en février dernier, on ose à peine aborder la question de l’identité de la France, une question pourtant étroitement liée à celle de l’indépendance et de la souveraineté du pays, c’est-à-dire son avenir. Selon les termes mêmes du ministère de l’Intérieur, le mouvement a été interdit car il véhiculait « une idéologie incitant à la discrimination des individus à raison de leur non-appartenance à la nation française ».

    Incroyable raisonnement. Il y a discrimination s’il y a différence de traitement entre deux individus ou groupes d’individus se trouvant dans une situation identique. Mais précisément, le citoyen français, celui qu’on appelait autrefois le régnicole, ne se trouve pas dans la même situation que l’étranger. L’État en est d’accord puisqu’il délivre des cartes d’identité au premier et des permis de séjour au second : c’est bien reconnaître que la nationalité, une notion proche de l’identité, est discriminante, qu’il existe des Français et des étrangers, et qu’à ces deux catégories, s’appliquent des règles de droit différentes. D’ailleurs, si l’État ne reconnaissait pas cette discrimination, pourquoi procéderait-il à des naturalisations dont l’objectif est précisément de l’effacer ?

    L'art, indissociable de l'identité

    « Identité française » : apparemment, l’expression est désormais considérée comme relevant du « politiquement incorrect ». Au début de son quinquennat, le président Macron avait déjà déclaré qu’il « n’y avait pas d’art français » : c’était affirmer qu’il n’y avait pas d’identité française. À la trappe les quatre magnifiques volumes de L’Art français d’André Chastel (Flammarion, 1993), malheureusement inachevés ! Un art étroitement lié à l’identité de la France : « C’est à travers leur idée de la France que les Français ont entrepris et accompli tant de choses extraordinaires dans leur art », rappelait l’auteur dans son introduction. L’art d’une nation est une des composantes fondamentales de son identité.

    Il n’y a pas si longtemps, la gauche n’avait pas encore honte de parler d’identité française. On admettra facilement que Fernand Braudel n’était pas un dangereux extrémiste de droite : or c’est à lui qu’on doit ce beau livre (inachevé, lui aussi) intitulé L’identité de la France (Arthaud, 1986). Il est vrai que les premiers mots de son introduction ne trouveraient guère d’écho chez nos dirigeants d’aujourd’hui : « Je le dis une fois pour toutes : j’aime la France ». Un a priori qui ne coïncide guère avec le « prêt-à-penser » actuel, fait d’Europe, d’universalisme, de cosmopolitisme, agrémenté de déconstructionnisme et autres -ismes tout aussi malsonnants.

    Gauche et identité, un vieux malentendu

    Et pourtant, Fernand Braudel était un partisan convaincu de la construction européenne. Il s’était d’ailleurs posé la question – comment l’éviter ? – de la compatibilité d’un livre sur l’identité de la France et le credo universaliste de la gauche, sa famille de pensée. Mais sa réponse était claire : « L’Europe, le monde sont parties prenantes dans notre passé (...). Mais qu’il soit entendu que, pour aucune nation, le dialogue obligatoire et de plus en plus pesant avec le monde, n’entraîne une expropriation, un effacement de sa propre histoire ».

    « Alors qu’entendre par identité de la France ? s’interrogeait Fernand Braudel. Sinon une prise en main de la France par elle-même, sinon le résultat vivant de ce que l’interminable passé a déposé patiemment par couches successives ». Mais d’ajouter aussi « une nation ne peut être qu’au prix (...) de s’opposer à autrui sans défaillance ». Et de conclure : « Toute identité nationale implique, forcément, une certaine unité nationale, elle en est comme le reflet, la transposition, la condition ». Bref, tout le contraire de la « déconstruction » nationale à laquelle nous assistons depuis quatre ou cinq décennies.

    Un peu d'histoire

    L’identité de la France soulève directement la question de sa naissance. Depuis quand peut-on parler de « France », dans quelles conditions s’est-elle constituée ? L’historien allemand Carlrichard Brülh a publié sur le sujet, en 1994 pour la traduction française, un livre très érudit, intitulé Naissance de deux peuples. Français et Allemands, IXe-XIe s (Fayard). Il y expose comment, selon un long processus de plus de deux siècles, les deux pays sont nés de la cassure du grand royaume des Francs, issu de l’empire carolingien.

    Ce divorce au sein du Regnum francorum a fini par donner naissance à la France et à l’Allemagne. La grande leçon de cette histoire est qu’identité et souveraineté sont nées ensemble, du même phénomène de partition. Ce sont, dès l’origine, deux notions strictement jumelles. En défendant l’identité de la France, on défend sa souveraineté et vice versa.

    Mais Carlrichard Brülh était aussi un fervent partisan de la construction européenne. La version allemande de son livre coïncide avec la préparation du traité de Maastricht, la version française suit de peu sa signature. Or après avoir, pendant des centaines de pages, exposé qu’il ne fallait pas simplifier cette question de la naissance des deux États, il en vint lui-même, par pure idéologie, à simplifier sa conclusion. Ayant déclaré que les deux États avaient « la nette conscience d’une origine commune », ses derniers mots étaient pour souhaiter une nouvelle « amitié » (amicitia) entre Germains et Gaulois.

    Gaulois et Germains n'ont rien en commun

    Là, semble-t-il, est l’erreur. Ce qui était commun, c’étaient les populations franques qui s’étaient imposées au pouvoir et la structure franque de ce pouvoir. Mais la masse des populations sous leur contrôle était extrêmement diverse. Carlrichard Brülh explique lui-même que le Regnum francorum était composé de très nombreux regna. Par exemple, à l’ouest : Austrasie, Neustrie, Bourgogne, Aquitaine, Provence. À l’est : Bavière, Saxe, Frise, Carinthie, etc.

    L’on voudrait qu’en un coup de baguette magique – le traité de Maastricht – « Gaulois » et « Germains » renouent des liens d’amitié !

    La réunion de ces regna finira par donner, à l’ouest, la France, à l’est, l’Allemagne, mais que de différences entre ces deux regroupements ! L’ « origine commune » était celle des régimes politiques auxquels avaient été soumises ces populations, non celle des populations régnicoles elles-mêmes. À l’ouest et à l’est, les ingrédients furent différents : c’est pourquoi les identités française et allemande n’ont rien de commun.

    Depuis mille ans, France et Allemagne se forgent des identités différentes, pour ne pas dire opposées : nation centralisée française d’un côté, empire fédéral allemand, de l’autre. Depuis cinq siècles, selon Carlrichard Brülh lui-même, les deux États ont été séparés par « une très réelle rivalité dynastique » qui est devenue « véritable antagonisme national » depuis la Révolution et l’Empire. Et l’on voudrait qu’en un coup de baguette magique – le traité de Maastricht – cette évolution millénaire se renverse subitement et que « Gaulois » et « Germains » renouent des liens d’amicitia !

    Paris-Berlin : identité-souveraineté vs. déclin-disparition

    C’était le souhait du général de Gaulle, lorsqu’il signa, le 22 janvier 1963, le traité de l’Élysée avec l’Allemagne. Mais dès le 15 juin suivant, le Bundestag votait un texte qui en contredisait radicalement l’esprit. Le général songea même à dénoncer le traité : « Ils se conduisent comme des cochons ! Ils mériteraient que nous dénoncions le traité et que nous fassions un renversement d’alliance en nous entendant avec les Russes ! » Voilà ce que fut la « réconciliation » franco-allemande, les retrouvailles entre « Gaulois » et « Germains » : l’amère constatation de leur impossibilité.

    Au vu de notre histoire et de notre identité, l’Europe de Maastricht est une impossibilité.

    Revenons à Fernand Braudel : « l’identité de la France (...), c’est le résultat vivant de ce que l’interminable passé a déposé patiemment par couches successives ». Navré pour les pacifistes béats : ces « couches successives », ce sont celles de deux identités, française et allemande, différentes, divergentes, opposées, et qui continuent à différer, diverger et s’opposer. Il n’est évidemment pas question de les attiser, de les envenimer et de revenir aux immenses malheurs que nous avons connus entre 1870 et 1945.

    Mais soyons réalistes : au vu de notre histoire et de notre identité, l’Europe de Maastricht est une impossibilité. Le couple identité-souveraineté, c’est tout simplement, depuis le début, la marque de notre naissance, devenue garantie de notre existence. L’abandonner au profit d’une supra-souveraineté et d’une supra-identité, c’est s’abandonner soi-même. Le contraire de la définition de l’identité française par Fernand Braudel : « la prise en main de la France par elle-même ». À nous de choisir entre identité-souveraineté et déclin-disparition, c’est-à-dire entre Paris et Berlin.

    François Joyaux est professeur émérite de civilisation de l'Asie de l'Est à l'Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO). Collectionneur de roses anciennes, sur lesquelles il a écrit plusieurs ouvrages, il est également l'auteur de « Nam Phuong : La dernière impératrice du Vietnam » (Perrin, 2019).

    À LIRE AUSSI : "Marianne" : "germanophobes" ou vrais défenseurs de l’Europe ?


    Source : https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/defendre-lidentite-de-la-france-cest-defendre-sa-souverainete-cest-a-dire-son-existence?utm_medium=Social&utm_source=Facebook&Echobox=1618421084#xtor=CS2-4