"La gauche doit s’oublier pour s’extraire de son petit espace reclus"
- status:
Cher Benoît Hamon,
Vous avez raison, il y a assurément dans la gauche un socle de valeurs dans lequel beaucoup se reconnaissent. Et bien entendu, personne ne dira le contraire, il faut agir vite et fort face au réchauffement climatique et face à l’énième crise économique et sociale qui s’abat sur notre pays. Les constats sont largement partagés et l’effroi nous envahit tous chaque jour davantage. Dire que 2022 est le dernier rendez-vous est cependant inconséquent pour un responsable politique. Élémentaire.
La gauche morcelée
Voyez-vous, la question aujourd’hui n’est pas celle des valeurs, mais celle des projets politiques concrets qui se constituent pour gouverner le pays face à ces grands défis. Et il n’est pas vrai que toute union vaille, même sur la base d’un tout petit dénominateur commun. Le contexte, lui, n’est pas celui d’une victoire politique possible d’une des forces constituées à gauche - toutes sont données perdantes en 2022. Alors, comme vous le dites : « Après tout, si les divergences dominent les convergences, épargnons-nous le simulacre de vaines réunions de famille qui ajouteront une couche supplémentaire de dépit et de déception dans l’électorat de gauche. »
« Ces divergences - mot peut-être trop faible - dominent les convergences, et endigueront sans aucun doute l’avènement d’un projet politique national commun et ambitieux. »
En effet, il existe bel et bien au sein de la gauche des ruptures profondes sur l’Union européenne, sur la décentralisation, sur le travail, sur l'antiracisme, et sur bien d’autres sujets qui produisent logiquement des conflits politiques réguliers. Et ces sujets ne sont pas secondaires, ils sont fondamentaux en cela qu’ils augurent des formes d’organisation de la société bien dissemblables. Sans revenir sur chacun d’eux, ces antagonismes mis en exergue ne permettent pas aux gens, fort logiquement, d’identifier le PS, EELV, la FI ou le PC dans un espace politique cohérent. Ces divergences - mot peut-être trop faible - dominent les convergences, et endigueront sans aucun doute l’avènement d’un projet politique national commun et ambitieux. C’est une question de fond et non d’ego, même si les ego sont largement répandus.
Surtout, sur ces questions qui sectionnent la gauche, il n’y a pas d’éloignement évident entre deux camps qui pourraient se dissocier rationnellement. Les proximités et les discordes se réajustent et ré-ordonnent la gauche sur chaque sujet. Les conflits sont aussi à l'œuvre à l'intérieur même des partis. Tout est décousu. Ce grand désordre et l’inertie des organisations sclérosent les clarifications historiques nécessaires. En l’état, la gauche est un espace politique informe qui s’efface.
« L’élection présidentielle de 2017 et la crise des gilets jaunes avaient montré que son effondrement était jusqu’ici en route. Les récents sondages de l’IFOP et d’Elabe indiquent que sa mort est désormais actée. »
Dès lors, faire croire aux Français qu’une union des partis de gauche est possible et souhaitable, ce serait continuer de leur mentir. Il faut dire la vérité aux Français, la gauche n’est plus le signifiant juste qui porte l’idéal républicain d’émancipation qu’elle a pu être. Elle n’existe plus en tant que tel, et toute union des forces qui s’en réclament serait stérile et perfide. La dignité de la représentation se situe à travers cette vérité-là.
L’élection présidentielle de 2017 et la crise des gilets jaunes avaient montré que son effondrement était jusqu’ici en route. Les récents sondages de l’IFOP et d’Elabe indiquent que sa mort est désormais actée.
Pour autant, cela ne signifie guère que son idéal, que l’on évoquait juste avant, s’est lui aussi éteint. Non, il est simplement désormais orphelin d’un corpus politique concret, de figures qui l’incarnent, d’une esthétique qui le redessine et d’un camp qui le porte de façon harmonieuse. L’édification d’une nouvelle proposition de contrat social, ancrée dans les valeurs de partage, de solidarité et d’écologie et qui réenchante la vie, constitue bien la nécessité historique.
« Loin de certains de ces combats puérils et débranchés du sens commun, elle doit enfin prendre conscience des véritables conditions sociologiques et culturelles de la victoire. »
Pour mettre en place ce véritable aggiornamento, la gauche doit s’oublier pour s’extraire de son petit espace reclus et redescendre de son piédestal moralisant du haut duquel elle est toujours convaincue d’avoir raison et d’être en avance. Loin de certains de ces combats puérils et débranchés du sens commun, elle doit enfin prendre conscience des véritables conditions sociologiques et culturelles de la victoire. Alors, certains resteront évidemment englués dans leur petit enclos sectaire et continueront de ne se parler et de ne se comprendre qu’entre eux. Pour d’autres, il faudra non pas s’unir mais se désunir de la gauche. Ce décrochage est inévitable pour se reconnecter au pays et recomposer alors à partir des aspirations et des afflictions majoritaires du peuple français.
Oui, l’heure presse pour avancer et éviter bien des désastres.
A LIRE AUSSI :Union de la gauche : une réunion pour sauver les apparences ?
Source : https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/la-gauche-doit-soublier-pour-sextraire-de-son-petit-espace-reclu?utm_medium=Social&utm_source=Facebook&Echobox=1618591905#xtor=CS2-4