[CONVERSATION] Marc Eichinger : “J’ai la preuve indiscutable que le Qatar s’est payé un secrétaire d’État français pour 260 000 euros, une misère”
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Portail de l’IE (PIE) : Vous êtes critiqué pour partager des informations avec d’autres services de renseignement que la DGSE, vous dites avoir été fatigué par le fait que ça n'aboutissait jamais, quel a été le déclencheur?
Marc Eichinger : En un mot : l'efficacité. La DGSE n’a pas les mêmes moyens que le FBI par exemple, elle ne joue pas dans la même division. Le FBI c’est 35 000 agents qui ont un tronc commun de formation exigeant. La DGSE c’est quoi? 7000 personnes? Un concours pour des gens de Sciences-po? Et puis la DGSE n’a pas vocation à diffuser l’information. Exemple : les “Qatar leaks” ce sont des informations qui ont une portée historique, les victimes se comptent par dizaines de milliers dans beaucoup de pays, en Israël, en Syrie, en Libye, les victimes d’attentats, au Sahel… Cela doit-être connu des agences qui ont les moyens de détruire les circuits de financement du terrorisme et ce n’est pas la cas de la DGSE malheureusement.
PIE: D’ailleurs pourquoi la DGSE s’est adressé à vous à l’origine?
Marc Eichinger : J’ai commencé à travailler pour eux parce que j’avais des capacités différentes des autres : c'est-à-dire pouvoir faire une analyse financière et tenir une kalash (rires). J’accepte aussi le fait de vivre comme un chien. Il m’est arrivé de vivre dans une vieille baraque de chantier chinoise pendant 3 mois ou encore une forteresse en ruine à Kirkuk. Il faut savoir vivre comme son adversaire, il souffre de la pauvreté, alors apprenez à avoir faim comme lui.
PIE : Vous avez dit que l'intelligence économique n'existait pas, pourquoi?
Marc Eichinger : Parce que c'est du renseignement et rien d'autre, une mauvaise traduction de l’anglais. Je peux vous dire que si vous vous faites remarquer en Jordanie, qui est un pays plutôt "cool", à accumuler des informations sur des entreprises, vous êtes arrêté de suite. Allez leur dire “non, je fais de l’IE” (rires). D’ailleurs, les gens ne font pas la différence et c’est normal, si vous allez en “centraf” (Centrafrique, NDLR) vous deviendrez une sorte de barbouze pour tout le monde même si vous faites du renseignement en boulangerie!
D’autant plus que, de par mon expérience, dans certaines sociétés d’IE bien précises, beaucoup font de la corruption ! Souvent la “business diplomacy” en général, malheureusement ce n’est rien d’autre que de la corruption ! Une fois, j'ai été appelé par un parlementaire britannique qui avait “oublié” de déclarer un actif au Kazakhstan. Je suis passé par un cabinet d’IE pour “régler” le problème. On peut suivre la corruption via certaines boites d’IE sans grande difficulté.
PIE: Cette mauvaise définition est-elle symptomatique d'un manque de reconnaissance ?
Marc Eichinger : Tout à fait, c’est symptomatique de cette fausse pudeur qui existe en France, un manque de courage pour dire les choses. Le renseignement français a mauvaise réputation, peut-être à raison après tout, il faudrait se poser la question du pourquoi. En tout cas il n’y a pas de reconnaissance c’est certain! En Israël, ce sont des stars, ils sont appelés les “princes”, en France c’est des riens du tout. En même temps si c’est pour in fine travailler pour Bolloré, Dassault et pas le service de l’Etat, qui est motivé ?
PIE: Pourquoi les SR français ne sont-ils pas au même niveau de reconnaissance selon vous?
Marc Eichinger : Il y a en France un manque de culture du renseignement et de moyens qui est indécent. Déjà au plus haut niveau quelque chose ne va pas! Il n’y a aucune volonté de rendre compte devant le Parlement. Notre Constitution permet au Président de faire tout ce qu’il veut en matière de Défense, il n’y a pas de contre-pouvoir. De mon point de vue , les services finissent par ne plus travailler pour le contribuable mais pour un homme et ses amis.
A propos du renseignement français, en ce moment, c’est la grande mode du cyber : tout le monde veut en faire mais personne n’en fait. Les agences françaises sont éclatées en plusieurs entités aux budgets ridicules. Comment faire du cyber avec des moyens aussi faibles et divisés? La DRSD, c’est 1500 personnes et 15 millions d’euros de dépense de fonctionnement, dans l’affaire Uramin, j’ai vu un géologue d’Areva toucher 14 millions, c’est ridicule (rires)! J'en ai rencontré, ce sont des gens compétents mais que peuvent-ils faire avec si peu de moyens? Pour l'opération Geronimo c'est budget no-limit pour les Américains. En France ils se battent avec des bouts de ficelles.
Et puis qu’est ce qu’on sait faire quand on sort d’un service de renseignement français? Par exemple, le milieu britannique a des défauts, c’est une sorte d’aristocratie, d’entre soi, mais il y a une vraie reconnaissance du privé. En France, ils font quoi quand ils en sortent les analystes, quelles sont leurs compétences?
PIE: À quel niveau de maturité économique sommes-nous en France par rapport aux Anglo-Saxons selon vous?
Marc Eichinger : Le niveau de culture économique en France est risible. J’ai l’impression qu’il y a une vraie volonté de ne pas voir les choses. Un seul exemple : ceux qui se glosent sur la vente de Rafales… Quand on vend des Rafales à l'Egypte, il y a un problème de solvabilité : les Rafales vendus sont garantis par le contribuable français (via le Trésor Public) et l’Egypte a une dette qui est tout simplement irremboursable! Nous avons fait un cadeau à L’Egypte, pas une vente. Et combien de commissions là-dessus ?
PIE : Pourquoi selon vous un tel éclatement des entités publiques anti-corruption et compliance en France ?
Marc Eichinger : De mon point de vue c’est évidemment voulu, c’est le principe du diviser pour mieux régner. Pour bien comprendre les choses, il faut savoir qu’une grosse affaire financière dure entre 10 et 15 ans, voire plus. Les magistrats changent de ressort bien avant, ils n'ont pas la possibilité de suivre une affaire en entier. Et puis c’est bien connu : pour “pourrir” une affaire la Chancellerie refourgue au juge un peu trop regardant un nombre insensé d’autres dossiers pour le noyer.
Il faut une réforme de la Justice. L’indépendance de la Justice devrait être totale! En France, si tu es pauvre, c’est terminé! Au moins aux États-Unis, même si c’est compliqué c’est possible d’avoir gain de cause car la Justice est réellement indépendante : par exemple le FBI peut enquêter sur un Président en exercice.
PIE: La réorganisation des services viendra-t-elle du monde politique ?
Marc Eichinger : Pourquoi les services de police français anti-corruption ne sont pas centralisés ? C’est tout simplement absurde! De mon point de vue le problème c’est que les politiques sont corrompus, cela paie très bien la politique ! J’ai la preuve indiscutable que le Qatar s’est payé un secrétaire d’Etat français pour 260 000 euros, une misère. Pourquoi a-t-on plus de 30 ministres ? il y en a 7 en Suisse et cela marche très bien. La Belgique a très bien survécu sans gouvernement (rires). Pourquoi 577 députés ? Aux États-Unis la totalité du Congrès, donc des deux chambres compte 535 élus en tout. C’est moins que notre seule Chambre des Députés et ça marche très bien ! Je pense que voir des individus comme Benjamin Griveaux, qui a été député, porte-parole, candidat à la mairie de Paris, qui redevient député cela rend les gens amères. A quoi servait cet homme ? Idem, M. Bayrou, qui considère que 4000 euros par mois c’est le salaire de la classe moyenne, que fait-il au commissariat au Plan ? La France a-t-elle une économie soviétique ? A l’instar de nos haut-commissaires quel chef d’entreprise gagne 14 000 euros par mois en France aujourd’hui
PIE : En parlant de corruption, selon vous la Françafrique a-t-elle vraiment disparu?
Marc Eichinger : Non hélas! C'est une catastrophe! D’ailleurs je comprends le sentiment anti-français qui monte en Afrique. Par exemple l’affaire du Tchad, si j’étais tchadien je l’aurais aussi mauvaise. Le père Deby tombe, cela devrait-être la Constitution tchadienne qui prévaut (donc l’intérim assuré par le président de l’Assemblée Nationale) et la France met le fils...
Autre exemple, le Niger fait venir 916 missiles S8 qui disparaissent. Les dirigeants traînent avec une famille mafieuse qui possède 3 biens immobiliers avenue Foch et personne ne va leur demander des comptes, c’est une blague ? Ils traînent avec la mafia Al Zayn de Berlin personne ne s’en soucie ? Barkhane aussi, qu’est- ce qu’on est parti faire là-bas ? Où va l’argent ? J’ai donné les preuves des nombreux détournements de fonds d’Areva, pensez que la fausse mine d’Imouraren a été valorisée jusqu’à 1,3 milliards d’euros dans le bilan d’Areva. La reconstruction d’une route a été payée par nos impôts et jamais construite. Le nouveau bâtiment du ministère des mines commencé en 2014 nous a coûté 10 millions d’euros et il a fallu informer la brigade financière à Paris pour qu’il soit terminé en 2021. L’ambassade américaine a construit un bâtiment beaucoup plus grand pour 2,3 millions d’euros et en moins de deux ans. C’est le nouveau siège de la DST nigérienne. D’un côté il y a une diplomatie rigoureuse et de l’autre celle qui partage. Pour preuve aussi le scandale de l’uraniumgate dont on attend toujours le jugement ! Nous avons des agents de la DGSE, DRSD, DRM sur place et autant de sourds muets qui ne rapportent jamais rien au Procureur alors qu’ils en ont l’obligation comme tous les fonctionnaires. Si la DGSE n’aide pas la justice à lutter contre des criminels, à quoi sert- elle ?
PIE : Le silence des autorités est un chose mais comment expliquez-vous le silence des journalistes sur l’affaire des “Qatar Papers” par exemple ?
Marc Eichinger : C’est tout simple : peur du procès et jalousie aussi peut-être. Ils n’ont pas accès à mes sources. Mais il faut leur donner du temps maintenant que le procès BHL a eu lieu. Et puis regarder l’actionnariat des médias, il est très concentré. Le meilleur exemple pour comprendre la frilosité des médias c’est Chesnot et Malbrunot qui ont été condamnés alors qu’ils avaient raison...
PIE : En termes de management des risques et compliance, selon vous quelles seront les conséquences pour Areva ou les parties prenantes ?
Marc Eichinger : Je suis persuadé que si Christine Lagarde a été dégagée au FMI c’est à cause de cela et de l’affaire Ausra. Maintenant elle est à la BCE et c’est d’ailleurs un joli coup pour les Allemands : les Français se vantent d’avoir une française à la tête de la BCE, mais ils connaissent ses faiblesses. Edouard Philippe qui a travaillé pour le cabinet américain Debevoise & Plimpton (l’ancien cabinet d’Hillary Clinton) avant de rejoindre Areva ne pouvait vraisemblablement rien ignorer de l’affaire Ausra. Il était Premier Ministre au moment où le Parquet recevait ce dossier accablant. Aucune instruction. Al Gore a vendu 275 millions de dollars une société en faillite à Areva en 2010, le mari de Lauvergeon se retrouve actionnaire, elle disparaît du bilan d’Areva trois ans après et cela ne gêne personne ? C’est juste votre argent de contribuable français qui est parti dans la poche de membres du parti démocrate américain…
Si la France ne veut pas être rangée dans la catégorie des républiques bananières, il faut changer de cap sérieusement !
Propos recueillis par Pierre Gonsolin & Pierre-Guive Yazdani
Pour aller plus loin :
Source : https://portail-ie.fr/analysis/2952/conversation-marc-eichinger-jai-la-preuve-indiscutable-que-le-qatar-sest-paye-un-secretaire-detat-francais-pour-260-000-euros-une-misere