Un long tissu de coups de poignard

     

    Si la vie, hélas, -on le sait depuis la célèbre plaidoirie de Maître Bafouillet en défense du sapeur Camember-, « n’est qu’un tissu de coups de poignard qu’il faut savoir boire goutte à goutte », cela aura été particulièrement caractéristique de ce que les Français vécurent au cours du quinquennat Macron qui, de jupitérien, devint lunaire puis abyssal. Jamais depuis fort longtemps le pays n’avait semblé aussi proche du précipice et tout à la fois semblable à quelque cocotte-minute sur le point d’exploser, sorte de marmite à tensions constamment renouvelées, réinventées, démultipliées. Tout y fut chaotique, brutal, incompréhensible, pesant, clivant, pervers, violent, mais également souvent indigne et grotesque, ce qui ne fit que désorienter chacun un peu plus encore.

    Le pays était à feu et à sang, les cathédrales brûlaient en veux-tu en voilà, les opposants qui n’en finissaient pas de s’opposer étaient réprimés de manière archaïque par des préfets portant gigantesques casquettes comme pour se parodier eux-mêmes et qui appartenaient à des « camps », les trafiquants faisaient la loi au nez et à la barbe des autorités (qui « condamnaient fermement et se déplaçaient sur le champ »), tantôt réglaient leurs contentieux interethniques à la mosquée du coin, tantôt tenaient des checkpoints comme dans un pays en guerre –ce qu’il était du reste à bruit plus ou moins bas, quelques efforts que fissent les irresponsables aux responsabilités pour le nier-, les couteaux volaient à rythme soutenu, pour un oui pour un non, les prêtres se faisaient égorger selon une cadence à peu près stable, l’émoi consécutif durait quelques jours, le pays, que l’on vendait à la découpe aux bons amis et dont la capitale s’était d’ailleurs emblématiquement transformée en porcherie mâtinée de Cour des Miracles, était méconnaissable. La crise sanitaire et sa gestion à la fois autoritaire et erratique avaient pour ne rien arranger plongé la société toute entière dans un état d’hystérie qui était venu redoubler l’état de délabrement et de défiance préalables, le raidissement vers une société de surveillance ne faisant pour finir qu’ajouter du malaise à la crise.

    C’est dans ce contexte particulièrement dynamique et joyeux que le pays entra en campagne électorale pour l’élection présidentielle, étant entendu que celle-ci obsédait l’occupant de l’Élysée depuis le jour même de son arrivée : absolument tout n’était que pose, communication, arguments marketing et éléments de langage, dès le premier instant. Rien d’autre n’occupait le Pouvoir que le Pouvoir lui-même, aussi ne fallait-il pas s’étonner que l’inaction régnât partout où les Français attendaient quelque chose de véritable (sécurité, pouvoir d’achat, emploi, maîtrise de l’immigration, souveraineté –économique, industrielle, stratégique, juridique, civilisationnelle-, protection de l’environnement, préservation du patrimoine culturel et naturel du pays, enfin tout…). Et il faut bien dire que, conséquemment, chacun en face nourrissait la même obsession en sens contraire.

    Cette séquence rituelle de la vie politique hexagonale que tout le monde attendait avait donc débuté ainsi, à la fois insensiblement, au terme d’un été qui n’en fut pas un, en pente non pas douce, mais molle, dans cette espèce de non-rythme, de temporalité suspendue qui marquait nos existences depuis le surgissement de la peste pangoline (il ne fallait pas dire « virus chinois », car c’était mal), sorte d’espace-temps flottant, un peu flasque et sans contours, comme affaissé sur lui-même, caractéristique d’une forme de dépression collective (mais tous en étaient frappés), et tout à la fois dans une intense, mais sourde cristallisation des colères, des haines même (ce jeune godelureau-président générait de façon quasi naturelle, comme s’il en avait le don particulier, un sentiment de détestation peu commune auprès d’à peu près tout le monde à l’exception du petit « bloc élitaire » qui lui servait de socle lorsque d’aventure il lui prenait l’envie de lancer crânement à tous les autres « Qu’ils viennent me chercher ! »). Dans le fond c’est un peu comme si chacun attendait de cette campagne qu’elle apporte certes un résultat de nature à changer certaines choses devenues cruciales, mais aussi et surtout, dans un temps plus immédiat, à sortir, par les affrontements qu’elle allait de facto générer, de l’état de dépression collective engendrée par ces cinq ans de règne dystopique.

    Et il faut bien avouer que, pour ce qui était de sortir de la torpeur, cela démarrait très fort.

    La moitié de la France semblait vouloir se déclarer candidate, chacun étant persuadé que l’équipée aventureuse de Macron en 2017, personnage sorti de quasiment nulle part, pouvait se répéter. Partant, chacun pensait avoir sa bonne étoile le guidant vers la magistrature suprême, solidement convaincu que les bonnes fées de la Providence (celle dont on forge les fameux « hommes » providentiels que l’on n’avait pas croisés depuis belle lurette) s’étaient penchées sur son berceau dès la naissance.

    En marge de ce contexte général propice aux initiatives les plus irréfléchies et psychologiquement instables, le dynamitage des partis traditionnels produit par le macronisme, mais aussi par une évolution socio-politique plus générale, comptait pour beaucoup dans le désordre ambiant. Un Parti socialiste définitivement atomisé, l’ancien socialiste Arnaud Montebourg qui, revenu de ses champs en lesquels il s’était théâtralement retiré tel Cincinnatus (sic), se lançait avec bravade dans une improbable danse souverainiste sur un slogan en forme de lambada, « la Remontada » (qui avait sans doute germé dans le cerveau d’un communicant ayant un peu abusé de la tequila estivale), tandis que, sur ces entrefaites, une autre socialiste dirigeant Paris -que les plus précieux grimoires nommaient la Dame aux Rats-, se déclara également, ambitionnant probablement avec ferveur de poubelliser tout le reste du pays comme elle avait fait en sa Bonne Ville, une France Insoumise au discours à la fois inaudible et racoleur, comme désorienté (ayant littéralement perdu l’Orient ou, plutôt, le draguant à tout prix), en direction d’un communautarisme qui tranchait avec l’attitude républicaine affichée en 2017, des Républicains de gauche souverainiste qui, droits dans leurs bottes et cohérents, peinaient toutefois à se faire entendre et étaient du reste généreusement ignorés par la plupart des médias, des brimborions d’extrême-gauche poussant de-ci delà comme autant de champignons magiques à la remorque de la moindre dinguerie woke (à l’exception notable du Parti communiste qui, bien que microscopique, semblait retrouver une colonne vertébrale idéologique cohérente), des écologistes qui, se sentant pousser des ailes après l’accident sanitaire des municipales de 2020, s’imaginaient déjà dans quelque cockpit éolien à la tête d’un pays confié aux savoirs ancestraux des sorcières et des elfes, et bien servis dans leur dessein par les déclarations pittoresques de Sandrine ou Martine ou Nadine Rousseau (on ne savait plus trop, mais ça n’avait pas d’importance) dont l’intelligence semblait démontrer qu’elle était passée directement (sorcellerie ?) de sa classe de petite section de maternelle à la vice-présidence d’une Université (ce qui n’était pas sans inquiéter le tout-venant sur l’état du monde universitaire, mais c’était là un autre sujet).

    Du côté de la droite dite classique, l’on assistait à une sorte de fête à Neu-Neu sans limites, constante féérie de l’absurde, peuplée d’une impressionnante quantité de poules sans tête persuadées elles aussi, toutes, d’avoir un destin suprême et qui, réjouies par cette idée, couraient en tous sens en s’entrecognant de temps à autre, avec à peu près autant de candidats que d’adhérents, et tous ayant pour point commun l’incapacité à produire un discours clair et crédible, pétrifiés sur leur flanc droit par des impératifs sécuritaires et identitaires désormais incontournables, et hypnotisés sur leur flanc gauche par le centre mou européiste qui s’était de toute façon lui-même laissé absorber par l’antimatière macronienne, laquelle trônait au milieu de tout ce marigot sinistré telle une grande flaque sombre vaguement informe. 

    Plus à droite encore de ce paysage pittoresque et prometteur de belles aventures, Éric Zemmour en polémiste talentueux semblait s’être transmuté en grenade dégoupillée, à la façon d’un petit Joe Dalton monté sur ressorts, dézinguant tout sur son passage, au risque de froisser et perturber ceux qui luttaient depuis longtemps et concrètement dans le camp dit « patriote », mais qui, aussi, ce faisant, animé d’une incontestable énergie, perforait les lignes d’un discours convenu et corseté, n’ayant cure quant à lui de se dédiaboliser puisqu’il n’avait pas à porter le fardeau d’un patrimoine diabolique. Pour raccommoder tout le monde, on proposa des débats biterrois, puis non finalement un déjeuner (au kebab de Benoît Hamon ?) et puis non finalement rien du tout, chacun s’en allant pour le moment continuer son petit bonhomme de chemin dans cette folle aventure qui s’ouvrait et s’annonçait certes burlesque, mais également cruciale et passionnante.

    Et encore le paysage ici campé en préambule de nos Carnets de Campagne, qui rythmeront chaque semaine l’année électorale, n’est-il pas exhaustif. La fête pouvait commencer : il allait advenir quelque chose…


    Source : https://frontpopulaire.fr/o/Content/co635737/un-long-tissu-de-coups-de-poignard