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Signet Loupe

Nous, enseignants, refusons la récupération de nos combats par Éric Zemmour.

Parce que nous sommes ou avons été enseignants, pour une partie d’entre nous en poste dans des établissements dits sensibles, que nous avons été parmi ceux qui alertent depuis deux décennies sur la fracture scolaire aggravant les inégalités sociales et enracinant les conflictualités identitaires, que nous avons témoigné depuis longtemps du danger du prosélytisme islamiste auprès de nos élèves et de ses répercussions au-delà de l’école, que nous avons appelé à une réforme profonde de la formation des enseignants libérée d’une approche pédagogiste qui dessert d’abord les catégories populaires : nous refusons la récupération idéologique de nos combats républicains à des fins électoralistes par Éric Zemmour.

Parce que nous ne sommes pas des enseignants fatalistes, ni déclinistes, qui souhaiteraient jeter au feu l’école de la République, que nous n’avons aucune intention de laisser des idéologues imposer leur lecture biaisée de l’histoire, que nous refusons de traiter nos élèves au regard de leurs origines ethniques ou religieuses pour les « christianiser » (car ce serait la voie de l’assimilation à la ­civilisation judéo-chrétienne et gréco-latine !) ou, au contraire, les enfermer dans leurs particularismes (car c’est la voie du différentialisme se disant progressiste), que nous aspirons à une école intellectuellement exigeante, clé de l’ascension sociale bloquée depuis plus de trois décennies : nous refusons le projet identitariste porté par Éric Zemmour, qui entend faire de l’école le laboratoire d’une réinitialisation des esprits en remplaçant une idéologie néfaste par une autre, aussi dangereuse pour l’unité nationale.

Instrumentalisation

En tant qu’enseignants, nous ne pouvons accepter l’instrumentalisation du désarroi des Français à l’égard des difficultés que rencontre notre système scolaire. Aussi alimentée par la descente sociale des enseignants mal rémunérés donc déconsidérés dans une société libérale qui met en équivalence salaire et valeur sociale, cette crise de l’école ne doit pas être le prétexte pour accepter le reformatage identitaire voulu par Éric Zemmour et ses partisans. Parce qu’il sait ce qui fonde l’identité du peuple en France, il a compris – comme ses adversaires de l’autre extrême – qu’en imposant la réécriture du récit national à l’école s’il accédait au pouvoir il pouvait changer notre modèle de citoyenneté.

Or, parce que l’école souffre déjà du poids pris par certaines idéologies qui éloignent trop de nos élèves de la culture, de l’art, de la littérature, des sciences, nous ne voulons pas qu’un effet de balancier conduise au pire. Éric Zemmour doit savoir que si, aujourd’hui, de nombreux enseignants s’arrangent avec les programmes scolaires et leurs insuffisances pour transmettre à leurs élèves, malgré tout, des savoirs et connaissances de qualité, nous lui disons qu’ils seront l’immense majorité à s’opposer à ses directives idéologiques.

Il doit savoir, avant de se lancer en campagne, que les enseignants de France refuseront d’enseigner que Pétain aurait sauvé les juifs français, que de Gaulle aurait été un maurrassien dans l’âme, allié tacite de Pétain, qu’il n’existerait pas de consensus historique sur l’innocence de Dreyfus, que Maurice Papon « fut la victime de combats qui le dépassaient » et que son procès aurait eu pour but de satisfaire « le mea culpa qu’exigent Serge Klarsfeld et ce que Mitterrand n’hésite pas d’appeler le lobby juif », que l’islam et l’islamisme seraient synonymes, que « l’appétit sexuel des hommes va de pair avec le pouvoir ; [que] les femmes sont le but et le butin de tout homme doué qui aspire à grimper dans la société » qu’un obscur rappeur raciste serait « le Rouget de Lisle de la contre-colonisation ».

Si nous refusons l’histoire revue et corrigée par le wokisme à la française qui tente d’infuser l’école, ce n’est pas pour que Jacques Bainville devienne l’historien de référence de nos élèves. Nous ne prônons pas un juste milieu tiède sans saveur et sans ambition pour les catégories populaires et les classes moyennes que l’institution continue souvent de trahir en mentant sur le niveau réel de leurs enfants à l’issue de leur scolarité. Nous espérons une réforme structurelle profonde de l’école de la République, non pour restaurer l’école de Jules Ferry de 1880, ses plumiers à encre et ses blouses dans des classes non mixtes, mais pour restaurer l’esprit émancipateur par les savoirs de cette école publique, oublié depuis que l’ultralibéralisme et le management constituent le logiciel de nos élites dirigeantes.

Vers l’émancipation

Cette émancipation résulte de la possession d’un capital culturel commun dont sont privés trop de nos élèves, enfermés de facto dans des identités sociales et culturelles, flattés parfois par l’institution scolaire elle-même dans la médiocrité de leur référentiel Instagram. Nous pensons que l’enseignement laïque, indifférent aux appartenances et croyances identitaires et religieuses des élèves et de leurs familles, est la seule voie de l’émancipation. Si cette laïcité n’a pas d’adjectif pour en minorer l’ambition et la portée, elle n’est pas non plus un instrument pour « christianiser les musulmans » comme l’a expliqué le polémiste-candidat. L’enseignant laïque n’est pas un missionnaire, il ne prêche pas un credo.

Le professeur transmet à son élève les moyens intellectuels de penser au-delà de lui-même, pour penser par lui-même quand il sera adulte. Il lui offre les moyens de choisir entre la liberté d’être soi et l’enfermement communautaire. La laïcité est une voie étroite et difficile. La pratique au jour le jour de notre métier n’est pas un sacerdoce mais une ambition pour éviter la dislocation de la nation qu’Éric Zemmour accélère par la violence de ses propos. La laïcité est une voie étroite à une époque où l’hystérie identitariste hurle de tous côtés, chacun annonçant son apocalypse, chacun implorant son prophète ou son sauveur. Les enseignants attachés à la laïcité ne croient pas aux miracles. L’école de la République est celle de la nation française, elle n’a honte ni de son histoire, ni de ses écrivains, ni de ses artistes. Elle aurait honte en revanche de devenir le creuset d’un roman national porté par des nostalgiques de la contre-révolution et de la Révolution nationale.

À LIRE AUSSI : Éric Zemmour ou le bricolage de l'Histoire

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Signataires :Fatiha Agag-Boudjhalat (professeur d’histoire-géographie), Isabelle Barberis (professeur de français, maître de conférences en arts de la scène université Paris Diderot), Béatrice Benabbes (professeur d’espagnol), Peter Bernhard (professeur d’allemand université Toulouse I), Jean-Paul Brighelli (professeur de lettres modernes en classes préparatoires), Sylvie Catellin (professeur en sciences de l’information et de la communication, maître de conférences à l’université de Versailles - Saint-Quentin), Mélanie Déchalotte (professeur de lettres modernes), Gilles Denis (professeur d’histoire de la biologie, maître de conférences université de Lille), Arnaud Fabre (professeur de lettres classiques), Alexandre François (professeur de linguistique CNRS, ENS, Sorbonne Nouvelle), Nadia Geerts (professeur de philosophie en disponibilité), Héloïse Geraut (professeur d’italien), Delphine Girard (professeur de lettres classiques, cofondatrice de Vigilance Collèges Lycées), Nicolas Gliere (professeur de lettres modernes), Marion Guardelli (professeur d’anglais), Éric Guichard (professeur de philosophie ENS Lyon, CNRS), Sophie Harif (professeur d’anglais), Fayçal Jellil (professeur d’économie-gestion), Barbara Lefebvre (professeur d’histoire-géographie en disponibilité), Alexandre Lomond (professeur d’histoire-géographie), Anne Lorenzini (professeur d’anglais), Laurent Loty (professeur de lettres modernes, CNRS, Sorbonne université), Daniele Manesse (professeur émérite en sciences du langage), Céline Masson (professeur de psychologie), Adel Mtimet (professeur de philosophie), Gérald Panczer (professeur de physique, université Lyon 1), Judith Perez (professeur de lettres classiques), François de Sauza (professeur d’histoire-géographie, cofondateur de Vigilance Collèges Lycées), Laure Schmittel (professeur d’histoire-géographie), Claude Secroun (professeur d’informatique), Véronique Tacquin (professeur de lettres modernes en classes préparatoires), Laurent Toussaint (professeur d’économie, Montpellier Business School), Olivier Verdun (professeur de philosophie), Philippe Zard (professeur de littérature comparée, Paris X Nanterre).


Source : https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/nous-enseignants-refusons-la-recuperation-de-nos-combats-par-eric-zemmour