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Quand les souverainistes voulaient pousser la France dans les bras de Vladimir Poutine

Cela devait être "un soutien de poids". Comme l'a révélé l'Express, Jean-Pierre Chevènement a annoncé ce dimanche 27 février son ralliement à Emmanuel Macron dans le JDD. Mais, après l'invasion de l'Ukraine, le "représentant spécial de la France en Russie" pourrait bien prendre des allures de boulet pour la candidature du président sortant. 

Somme parue en 2016, Un défi de civilisation résume les positions géopolitiques de cette icône du souverainisme de gauche. Nous sommes alors deux ans après le déclenchement de la guerre du Donbass et de l'annexion de la Crimée, un an après l'intervention de la Russie en Syrie afin de maintenir le régime de Bachar el-Assad. Le "Che" consacre de nombreuses pages à critiquer l'influence néfaste des Etats-Unis, de l'Otan ou de l'Allemagne. On y apprend que les Etats-Unis auraient entretenu "à feu doux la crise ukrainienne" pour "dresser l'une contre l'autre l'Europe et la Russie, et resserrer ainsi sur la première leur protectorat". Face à l'impérialisme américain ou au nouveau "Saint Empire Romain Germanique" (sic), le natif de Belfort plaide pour un "traité de sécurité européenne incluant la Russie", et fustige une "russophobie plus ou moins camouflée en poutinophobie" 

Le courant souverainiste aime se targuer de réalisme, face à des adversaires internationalistes qui ne seraient, au mieux, que des rêveurs idéalistes, au pire, des suppôts des Etats-Unis. Des intentions réelles comme de la vraie nature de Vladimir Poutine, Jean-Pierre Chevènement ne semble pourtant rien avoir perçu. Les dérives antidémocratiques ? "Cette vision est, selon moi, outrancière, quand elle n'est pas caricaturale". L'expansionnisme russe ? "Poutine ne rêve pas de rétablir l'URSS, mais il entend à coup sûr bâtir une Russie forte" ou encore : "Je ne pense pas que la Russie ait d'intentions agressives vis-à-vis des pays de l'Union européenne". Quant à l'Ukraine, elle ne serait selon lui qu'"un patchwork qui essaie péniblement de se construire une identité nationale".  




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Dans Un défi de civilisation, Jean-Pierre Chevènement cite longuement Sergueï Karaganov. Soit le proche conseiller de Poutine, un politologue qui a théorisé de nombreuses idées ayant amené à l'invasion de l'Ukraine. Déplorant que les pays voisins de la Russie soient bien plus attirés par l'Occident sur le plan culturel comme économique, Karaganov a notamment expliqué que l'usage de la force militaire représente le seul recours afin de s'assurer de leur soumission... L'ancien ministre français de la Défense, lui, n'y a vu que du feu : "A tout focaliser sur la 'menace russe' pour ne pas contrarier les fantasmes polonais et baltes, on finit par oublier que les principaux risques de déstabilisation viennent du Sud" écrivait-il en 2016. Aux côtés d'Hubert Védrine, Jean-Pierre Chevènement a été, en coulisses, le grand promoteur auprès d'Emmanuel Macron d'un rapprochement avec Poutine, avec le succès que l'on sait. Le 2017, le président russe le décorait de ses propres mains de l'Ordre de l'Amitié.  

La Russie pour garantir "la sécurité" de l'Europe

Nouer une alliance ou un partenariat stratégique avec la Russie de Poutine sur le plan de la sécurité comme dans le domaine commercial, afin de ne pas être à la merci de l'impérialisme américain ou de "l'Allemagne mercantiliste" ? Cette position, Jean-Pierre Chevènement n'était de loin pas le seul à la revendiquer dans sa famille intellectuelle. En 2016, vingt personnalités souverainistes publiaient une tribune dans Le Figaro appelant à renégocier les traités européens à la suite du référendum pour le Brexit. Parmi les signataires, outre Chevènement, on retrouvait le philosophe Michel Onfray, les journalistes Natacha Polony et Eric Conan, l'économiste Jacques Sapir ou le géographe Christophe Guilluy. Afin de donner son "indépendance stratégiques" à l'Europe, ces intellectuels invitaient à "renouer un dialogue avec la Russie, pays européen indispensable pour l'établissement d'une sécurité dont toutes nos nations ont besoin et définir des politiques ambitieuses et cohérentes de co-développement vis-à-vis de l'Afrique et au Moyen-Orient". "Politiques ambitieuses et cohérentes de co-développement au Moyen-Orient"? Cette année-là, faut-il le rappeler, l'appui militaire russe apporté à Bachar el-Assad transformait Alep en champ de ruines.  

Comme l'a bien montré le professeur de science politique Olivier Schmitt dans son ouvrage "Pourquoi Poutine est notre allié ?" Anatomie d'une passion française (2016), le courant pro-Poutine a en France largement transcendé les clivages gauche-droite, de Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen. Mais ce qui rapproche toutes ces figures, c'est d'abord une vision du monde antilibérale. Nos souverainistes sont en particulier séduits par le discours du président russe sur "l'Etat fort". Autre point commun : un anti-américanisme viscéral, quitte à tout faire pour minimiser les ambitions territoriales de Poutine, présentées comme une simple réponse à l'expansionnisme américain à travers l'Otan. Les souverainistes de droite, eux, peuvent de surcroît s'enthousiasmer pour la défense de Poutine des "valeurs traditionnelles". Le maître du Kremlin aime se présenter depuis une dizaine d'années comme le gardien du conservatisme face à une supposée déchéance morale de l'Occident. 

"L'Europe de l'Atlantique à l'Oural"

"L'Amérique veut que l'Europe soit la cinquante et unième étoile du drapeau américain. Pour cela, elle doit maintenir les Européens inféodés dans l'Otan. Vladimir Poutine est le prétexte parfait, le diable idéal. N'oublions pas les causes de l'engrenage ukrainien. D'abord un coup d'Etat fomenté par l'Otan. Ensuite une faute du gouvernement ukrainien, l'interdiction de la langue russe. Enfin, la prétention américaine de l'entrée de l'Ukraine dans l'Otan. Comment pouvait-on imaginer que les Russes allaient accepter de voir l'Otan à leurs portes ? Vladimir Poutine ne veut pas le démembrement de l'Ukraine. Il souhaite simplement la reconnaissance de la langue maternelle dans les régions russophones, un statut pour ces régions, et enfin une neutralité de l'Ukraine par rapport à l'Otan" assurait en 2015 Philippe de Villiers, fervent admirateur de Poutine et chantre, face à "l'Europe artificielle de Maastricht", d'un "grand partenariat stratégique et culturel avec la Russie, l'Europe de l'Atlantique à l'Oural". Candidat à l'élection présidentielle de Debout la France, Nicolas Dupont-Aignan n'a lui non plus jamais caché son admiration pour Poutine. Il déclarait encore, le 25 janvier sur Cnews : "Nous avons besoin d'une grande alliance avec la Russie, nous sommes complémentaires, nous devons lutter face aux défis de l'avenir, et les vrais défis, c'est l'Afrique qui est en train de basculer dans le djihadisme, et c'est beaucoup plus important que le Donbass, pardonnez-moi !". 

En 2014, dans une tribune intitulée "Souverainistes, vous n'avez aucune raison de soutenir l'impérialisme russe" parue dans Le Monde, Paul Thibaud avait pourtant dénoncé les "complaisances" de sa famille politique vis-à-vis de Vladimir Poutine, à la suite de la révolution de Maïdan puis de l'annexion de la Crimée et la guerre du Donbass. "Ceux qui veulent une Europe des nations devraient moins que personne négliger le droit de l'Ukraine à être une nation de plein exercice" plaidait l'ancien directeur de la revue Esprit. Une fascination pour la Russie de Poutine que le souverainiste québécois Mathieu Bock-Côté tente aujourd'hui de minimiser dans Le Figaro : "De manière schématique, on le sait, 'les souverainistes' cherchaient à tenir compte de la vision russe du monde dans leur réflexion sur la civilisation européenne. Certains le faisaient par un antiaméricanisme pavlovien, et d'autres, par fascination trouble pour un pouvoir fort censé incarner l'exact contraire de la supposée décadence occidentale. Mais la plupart avaient surtout la conviction que la géographie condamne les peuples partageant un même continent à tenir compte de leurs intérêts mutuels".  

"Schémas simplistes et commentateurs moutonniers"

"L'antiaméricanisme pavlovien" semble pourtant avoir de beaux jours devant lui. Après avoir rongé ses frontières, la Russie vient, de façon spectaculaire, de violer la souveraineté d'un Etat indépendant depuis 1991, et de surcroît démocratique. En théorie, cela devrait indigner les souverainistes. Mais nombre d'entre eux préfèrent continuer à pointer leurs critiques contre les Etats-Unis ou l'Otan, qui seraient les vrais responsables de ce conflit. Le 16 février, dans un éditorial intitulé "Savoir qui veut la guerre", Natacha Polony invite à "s'extraire quelques instants des schémas simplistes des commentateurs moutonniers pour qui le monde se partage en deux catégories : les méchants populistes pro-Russes - fascinés, bien sûr, par l'autocrate du Kremlin - et les gens raisonnables qui restent soudés au "camp occidental"". Remettant en cause les informations américaines sur une invasion imminente, la directrice de la rédaction de Marianne se veut alors rassurante, tout en rappelant que la révolution de Maïdan en 2014 "était largement soutenue par la CIA et sponsorisée par la Fondation Soros". Une semaine plus tard, l'éditorialiste doit bien constater que Vladimir Poutine "vient de torpiller les derniers espoirs de paix". Mais plutôt que de développer sur le "jusqu'au-boutisme russe", Natacha Polony préfère une nouvelle fois disserter en longueur sur les responsabilités de l'Otan et des Etats-Unis, qui auraient "tout fait, depuis trente ans, pour en arriver là". 

Venu de la gauche avant de militer pour une union des souverainistes de l'extrême gauche au Front national, l'économiste Jacques Sapir est aujourd'hui chroniqueur économique sur RT France. Une chaîne considérée comme un instrument de propagande du régime russe. Dans la revue Front Populaire, Sapir qualifie certes d' "inadmissible" ce qu'il nomme des "opérations militaires" russes sur le "territoire ukrainien".  

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Mais s'il prend quelque peu ses distances avec le terme de "dénazification" employé par Poutine, Sapir rejoint la propagande russe dans sa description de l'Ukraine comme étant un "Etat fantoche" : "La présence de mouvements nationalistes, néo-nazis, en Ukraine est une réalité connue et documentée. Mais, ces mouvements restent minoritaires au sein de la population et du gouvernement. La réalité de l'Ukraine est plus un régime oligarchique, fortement corrompu, largement pénétré par des intérêts privés étrangers et en partie en provenance des États-Unis, qu'un régime néo-nazi". Jacques Sapir va jusqu'à exiger des preuves d'apaisement à... l'Otan et aux Etats-Unis: "Qu'ils le veuillent ou non, ce sera bien aux pays de l'Otan et aux États-Unis de faire ici le premier pas et de fournir la démonstration que leur volonté d'aboutir à une stabilité du continent européen est sincère". On finirait presque par douter de qui a envahi l'Ukraine, et menace la paix en Europe. 

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Source : https://www.lexpress.fr/actualite/idees-et-debats/quand-les-souverainistes-voulaient-pousser-la-france-dans-les-bras-de-vladimir-poutine_2168804.html