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iI y a des limites à mon silence face à certains arguments injustifiable !

Au vu de la tournure que prenait cette campagne présidentielle, et du constat de l'impossibilité d'en infléchir le cours, j'ai pris il y a plusieurs mois la décision de ne pas m'y impliquer auprès de l'un ou l'autre des candidats et en faveur de l'un ou l'autre des programmes. N'ayant de toute ma vie jamais donné de consigne de vote - et à quel titre le ferais-je ? - je garde pour moi, pour ce second tour, comme pour le premier, le choix qui sera le mien dans l'isoloir. Les excès en tous genres qui caractérisent cette fin de campagne me confortent dans mon choix initial. Au milieu de cette hystérie, je ne dirai donc pas pour qui je voterai. Mais il y a des limites à mon silence face à certains arguments injustifiables, pour ne pas dire inqualifiables et, à mes yeux insupportables quel que soit le candidat pour lequel ou contre lequel on fait campagne.
Parmi ces arguments, deux sont, à mes yeux, les plus irrecevables et les plus dangereux pour l'avenir du débat démocratique.

- Le premier concerne l'utilisation du référendum pour modifier la Constitution. On peut légitimement être violemment opposé au contenu d'un projet de loi soumis à référendum. Mais proclamer que l'utilisation de l'article 11 de la Constitution par le Président de la République qui lui permet de saisir directement le peuple par référendum sans passer préalablement par le Parlement serait un coup d'État constitutionnel est proprement hallucinant. C'est le retour de la horde des politiciens, des éditorialistes, des charlatans du droit constitutionnel qui en 1962, aveuglés par leur haine de De Gaulle et de la Ve République, hurlaient à la forfaiture quand ce dernier décida d'utiliser cette procédure pour soumettre au peuple français la réforme instaurant l'élection du Président de la République au suffrage universel. La question de l'interprétation de la Constitution sur ce point, telle qu'elle est rédigée, a été définitivement tranchée par le peuple il y a soixante ans. Le véritable coup d'État constitutionnel et la forfaiture seraient de le contester. La fin ne justifie pas tous les moyens, et que des politiciens qui se sont toute leur vie réclamés du gaullisme usent de cet argument dans le débat électoral les déshonore, même si la cause qu'ils prétendent défendre dans cet entre deux tours a toute sa légitimité. Je termine par une remarque qui mériterait un plus long développement : la rédaction de l'article 11 telle qu'elle résulte de l'œuvre des constituants de 1958 et des réformes de 1995 et 2008 ne prévoie explicitement le contrôle du Conseil constitutionnel sur le texte soumis à référendum que pour le référendum d'initiative partagée et en aucun cas sur un référendum d'initiative présidentielle. Le Conseil constitutionnel, qui n'est pas chargé de réécrire la Constitution à sa guise, n'a donc rien à dire sur le fond d'un texte que le Président de la République déciderait de soumettre au peuple, même si le Conseil s'est arrogé le droit de vérifier la régularité du décret qui organise la consultation électorale. En élargissant son contrôle en contradiction avec la lettre de la Constitution, il violerait ouvertement cette dernière, ouvrant la voie au chaos institutionnel et à un gouvernement des juges qui progresse déjà de façon inquiétante. Mais c'est un autre débat.

Ce débat sur l'article 11 qui a l'air technique et rébarbatif est en réalité profondément politique, et la manière dont il est ouvert et manipulé par certains conduit à une dangereuse remise en cause de l'équilibre des pouvoirs dans notre République. C'est la raison pour laquelle il ne doit surtout pas être asservi à des considérations politiciennes et électoralistes.

- Le deuxième argument que je trouve irrecevable et lui aussi délétère dans cette campagne, est relatif à l'affirmation selon laquelle la réaffirmation de la supériorité du droit national sur le droit communautaire équivaudrait à une sortie déguisée de l'Union européenne. Il est délétère parce que c'est un mensonge qui interdit tout débat sérieux sur un sujet qui est au cœur de la grave crise démocratique que nous traversons.

Cette question qui elle aussi peut paraître trop technique et rébarbative ayant fait irruption au cœur du débat électoral, vous trouverez ci-joint le texte de l'entretien que j'avais accordé sur ce sujet au Figaro en octobre dernier. Sujet auquel, à l'époque, beaucoup d'entre vous n'avaient peut-être pas prêté beaucoup d'attention, mais dont l'importance se mesure à l'hystérie qu'il déclenche aujourd'hui chez ceux qui, comme pour tout le reste d'ailleurs, veulent faire l'Europe fédérale dans le dos des peuples.


Henri Guaino : «La primauté du droit européen est une impasse démocratique»

GRAND ENTRETIEN – Observateur avisé de la vie publique, l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy propose de revenir au principe dit de «loi écran», qui prévalait avant 1975 et qui donnait le dernier mot au législateur français.

Entretien tiré du Figaro du 26/10/2021
Par Alexandre Devecchio




LE FIGARO. - Le thème du droit européen s’impose dans la campagne. Le lundi 18 octobre, Emmanuel Macron a condamné les remises en cause de celui-ci, fustigeant une «vieille maladie française». Qu’est-ce que cette déclaration vous inspire?

Henri GUAINO. - Que c’est tragique de ne pas avoir pris conscience de l’impasse démocratique dans laquelle nous sommes enfermés, en oubliant au passage la virulence avec laquelle son gouvernement fustigeait en 2019 la décision de la Cour de justice de l’Union européenne d’interdire la fusion entre Alstom et Siemens et j’entends aujourd’hui le procès non moins virulent qu’il fait aux règles du marché européen de l’électricité.

Est-ce réellement «une spécificité française»? Rappelons que, dans son fameux arrêt du 30 juin 2009, la Cour constitutionnelle fédérale allemande prévenait que «la République fédérale d’Allemagne ne reconnaît pas une primauté absolue d’application du droit de l’Union»…

La Cour de Karlsruhe rappelle souvent que c’est le peuple allemand qui détient in fine ce qu’elle appelle «la compétence de la compétence», qui est une définition de la souveraineté. On pourrait citer aussi la décision de la Cour suprême espagnole, qui, l’année dernière, a maintenu en prison l’indépendantiste catalan Oriol Junquéras en passant outre l’arrêt de la Cour européenne, qui avait confirmé son immunité de député européen.

On peut aussi penser le plus grand mal, si l’on veut, de la réforme judiciaire polonaise, mais, en évoquant le principe de la primauté de la Constitution sur les traités européens, la Cour constitutionnelle polonaise n’a fait que rappeler un principe général selon lequel aucune norme juridique, fut-elle européenne, n’est applicable dans un pays si elle est contraire à sa constitution. En France, ce principe a été consacré par le Conseil constitutionnel et étendu au respect des règles et des principes «inhérents à l’identité constitutionnelle de la France». Les constitutions prévalent sur les traités européens, même si la Cour de justice et la Commission européenne pensent le contraire. La loi, en revanche, est subordonnée aux traités.


Emmanuel Macron rappelle que nous avons signé, puis ratifié souverainement les textes et les traités… La signature de la France ne doit-elle pas être respectée et défendue?

La souveraineté, pour une nation, c’est d’abord le droit imprescriptible pour celle-ci de défaire ou de modifier ce qu’elle a fait. Sinon, il faut commencer par supprimer les élections. Nul ne peut préempter la souveraineté pour l’avenir à travers des engagements irréversibles. Or, de traité en traité, de directive en directive, de jurisprudence en jurisprudence, l’on a construit un système où l’on peut de moins en moins changer de choses sans le consentement des autres, et plus seulement pour ce qui concerne les relations entre les États, comme c’était le cas auparavant, mais aussi désormais de plus en plus dans l’organisation même de la société. C’est démocratiquement intenable.

«Notre justice se construit désormais dans le dialogue des juges au niveau européen. Ce dialogue a accompagné la construction politique de l’UE, il l’a précédé», explique Emmanuel Macron. Cela pose la question de la place des juges dans la démocratie. Quel doit être ce rôle?

Ayant le pouvoir d’écarter l’application de la loi au profit des directives européennes ainsi que des conventions et des traités internationaux, le juge devient juge de la loi qu’il est censé faire respecter. Cette prérogative réservée jadis au Conseil constitutionnel s’est étendue au juge judiciaire et administratif.

Ce glissement s’inscrit de plus dans une tendance de fond qui porte partout les juges à donner aux grandes déclarations de principes une portée juridique, comme l’a fait à partir de 1971 le Conseil constitutionnel avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ce qui l’a conduit à conférer une valeur juridique à la fraternité. Et, à chaque fois que de nouveaux grands principes de portée très générale sont introduits dans des traités ou dans la Constitution, on donne à tous les juges des opportunités supplémentaires de juger la loi. Ce qui fait que le droit se fabrique désormais davantage dans l’entre-soi des juges, que les juristes appellent pudiquement le «dialogue des juridictions», que dans les assemblées élues par les peuples et responsables devant eux.

En 2011, nous avons échappé de justesse à ce que le contrôle du respect des règles budgétaires et donc des politiques économiques soit confié aux juges de la Cour de justice. Un jour, si l’on n’y met pas un frein, ce contrôle sortira peut-être du chapeau du «dialogue des juridictions». Dans ce nouvel ordre juridique, les gouvernements se trouvent de plus en plus souvent sommés de venir se justifier de leur politique devant les tribunaux plutôt que devant les parlements.

Iriez-vous jusqu’à parler de gouvernement des juges?

Tout concourt aujourd’hui à nous y conduire. Dès lors que l’on veut faire la démocratie par le droit et non plus le droit par la démocratie, le pouvoir échappe aux institutions politiques et se trouve transféré de plus en plus aux juridictions et aux autorités indépendantes. C’est le modèle que promeut l’Union européenne, qui se construit sur la dépolitisation de la société et de l’économie.

L’Union européenne n’a-t-elle pas raison néanmoins de s’inquiéter de la remise en cause de l’indépendance de la justice en Hongrie et en Pologne?

Quoi que l’on pense des gouvernements polonais et hongrois, la Commission et la Cour de justice doivent veiller à ne pas aller trop loin sur ce terrain. Il faut bien mesurer les conséquences de cette immixtion si elle va trop loin. Il y a par exemple beaucoup de gens en Europe qui pensent que la laïcité à la française ou l’assimilation sont des atteintes très graves aux libertés fondamentales ou que la justice n’est pas indépendante quand le Parquet ne l’est pas.

Est-ce que nous devrions laisser la Cour de justice de l’Union ou la CEDH en décider à la place des Français, comme dans un État fédéral? L’Europe fédérale, qui avance masquée, c’est le grand vice de la construction européenne actuelle, qui voit les peuples se retourner contre elle au fur et à mesure qu’ils ont le sentiment de ne plus avoir de prise sur rien.


Michel Barnier a défendu, à la stupéfaction de nombreux de ses anciens collègues à Bruxelles, la nécessité d’une «souveraineté juridique», mais seulement en matière d’immigration, car il y aura «d’autres Brexit» si rien ne change. Qu’en pensez-vous ?

Cela témoigne de la part d’une personnalité qui a consacré une bonne partie de sa vie à l’Europe d’une prise de conscience de l’impasse démocratique dans laquelle nous nous trouvons.


Xavier Bertrand a proposé, pour sa part, d’introduire dans la Constitution «un mécanisme de sauvegarde des intérêts supérieurs de la France»? Éric Ciotti souhaite «modifier l’article 55 de la Constitution pour affirmer la primauté de la Constitution sur les décisions européennes» tandis que Valérie Pécresse conteste la primauté du droit européen sur les «identités constitutionnelles» des États membres de l’UE. Que vous inspirent ces propositions? Sont-elles le signe d’un basculement idéologique à droite, y compris de personnalités plutôt européistes jusqu’ici?

Cela témoigne surtout de la difficulté de plus en plus grande à se présenter devant les électeurs en leur faisant des promesses que l’on ne tiendra pas si l’on ne change pas l’ordre juridique actuel. Mais les propositions visant à faire prévaloir la Constitution sur les traités européens sont inutiles puisque c’est déjà le cas et les propositions visant à sauvegarder les intérêts supérieurs de la France sont des faux-semblants si elles aboutissent à confier au juge la définition de cet intérêt supérieur.

Faut-il réformer la constitution?

Oui, puisque l’on a inscrit les traités européens dans le texte de celle-ci et que son article 55 pose le principe de la supériorité du traité sur la loi.

Que préconisez-vous pour votre part?

Le temps est venu d’une révolution juridique, au sens premier du terme. Avant 1975 pour la Cour de cassation et 1989 pour le Conseil d’État, le principe simple et logique qui prévalait était que le juge ne jugeait pas la loi. À la lumière de ce principe fondamental, l’article 55 de la Constitution, qui reconnaît la primauté des traités sur la loi, était interprété de la façon suivante: c’était la dernière expression de la volonté du législateur qui primait.

Si la loi était postérieure au traité, elle primait, si la ratification de traité était postérieure à la loi, c’était le traité qui avait la primauté. C’est ce principe dit de «loi écran» qui a été balayé par les jurisprudences, puis par l’inscription de strates européennes dans la Constitution que je propose de rétablir, mais en lui donnant une valeur constitutionnelle. En posant un critère de dates, il aurait l’avantage de ne laisser aucune place à l’interprétation et il s’imposerait à toutes nos juridictions, qui le connaissent bien puisqu’elles l’ont longtemps appliqué.

Cette révolution juridique ne détricoterait-elle pas toute la construction européenne?

Le principe de la loi écran appliqué dans notre droit public jusqu’à la fin des années 1980 n’a ni empêché de construire le marché commun ni détruit l’Europe. Le but est de se donner les moyens de réorienter progressivement la construction européenne en la sortant de son impasse démocratique, pas de la détruire. D’abord, il faut sortir du tout ou rien qui dit: soit vous appliquez toutes les dispositions des traités, soit vous les dénoncez en bloc et vous sortez de l’Union. Ce tout ou rien ne laisse qu’une échappatoire: essayer de renégocier de nouveaux traités.

L’expérience nous a appris que, même après un accord des chefs d’État et de gouvernement sur un traité simplifié, l’écriture du texte par vingt-sept diplomaties plus les eurocrates accouchera toujours d’un monstre. Quant à la renégociation au cas par cas, si elle est préférable, elle a pour seul levier, dans le système actuel, ce que les responsables politiques nomment «’influence de la France en Europe et sa capacité à construire des majorités», qui est le cache-misère de notre impuissance, comme le montre l’exemple en forme de serpent de mer du statut des travailleurs détachés, toujours pas réglé.

Si l’on en reste là, inutile de parler de maîtrise des flux migratoires, de réindustrialisation, de relocalisations, d’électricité à bon marché, de politique de la commande publique. Le retour à la primauté de la dernière manifestation de la volonté du législateur aurait le mérite de remettre l’exécutif et la majorité parlementaire face à leur responsabilité politique, qu’ils ont trop souvent tendance à fuir, et de créer un levier dans la négociation puisque, tant qu’il n’y aurait pas de nouvel accord, l’application du texte incriminé pourrait être suspendue par l’effet de la loi. C’est la transposition de la méthode gaullienne de «la chaise vide» et l’esprit du compromis de Luxembourg qui avaient conclu cette crise finalement salutaire. Aux gouvernants d’utiliser ce levier avec discernement.


Mais le risque n’est-il pas grand que les gouvernements ne fassent pas preuve de ce discernement?

Oui, c’est un risque. Mais, si l’on veut supprimer le risque que les électeurs choisissent des dirigeants qui manquent de discernement, il faut liquider la démocratie, ou au moins réduire sa part et celle de la responsabilité politique à la portion congrue. C’est ce que veulent au fond les adeptes de la démocratie par le droit et c’est le sens dans lequel évolue le droit européen depuis plusieurs décennies. Mais en vertu de quoi les juges auraient-ils plus de discernement que les gouvernements, les parlementaires et ceux qui les élisent?

Faudra-t-il en passer par un référendum?

Oui. C’est aux Français de trancher. Dans le même temps, il faudra réformer la Constitution sur un autre point pour tirer les leçons de Lisbonne: réformer l’article 89 pour que, s’agissant de réformes constitutionnelles liées à des traités, le dernier mot revienne toujours au peuple. Il faut nous réhabituer au référendum.

Emmanuel Macron a défendu la Convention européenne des droits de l’homme, qui constitue, selon lui, un outil fondamental «pour défendre les droits de l’homme». Faut-il sortir de la CEDH, comme certains le préconisent?

Non, pas plus que de l’Union européenne. Elle est quand même bien utile pour la protection des libertés, notamment en matière de liberté d’expression, ou face à des excès de nos institutions judiciaires. Mais ce n’est pas pour ça qu’il faut accepter toutes ses décisions, comme celle qui a condamné la France pour l’interdiction des syndicats dans l’armée… Constitutionnalisons le principe de la loi écran et les problèmes que ses décisions peuvent parfois nous poser seront résolus.


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